Original - pas de spoil - Chère Edith 3

Nous nous pensions perdus.

La gouvernante, bien que discrète, n'avait rien manqué de mon entretien avec votre frère, de ma détresse et de son mépris. Elle s'est pourtant abstenue d'en faire la révélation à mes parents comme elle était supposée le faire. Lorsque ma mère s'est plainte du peu de détails qu'elle lui transmettait, elle lui a sourit et lui a répondu "Madame, je suis souffrante et mon ouïe n'est plus ce qu'elle était autrefois". Une vague de reconnaissance a déferlé sur moi, ma fidèle gouvernante m'a fait un clin d'oeil furtif une fois que ma mère a eut le dos tournée. Je me suis sentie si soulagée que j'ai pris son visage en coupe entre mes mains pour déposer deux baisers sur ses joues. L'espoir s'est de nouveau frayé un chemin dans ma poitrine.

Mes parents ignoraient tout de ma visite chez Mr Hamilton, il fallait à tout prix que Thomas remonte dans leurs estimes.

Mais Thomas ne m'a pas rendu la tâche facile. La nouvelle de la demande en mariage lui a fait perdre toute confiance et je me suis trouvée seule à porter le fardeau de notre secret, à bout de bras.

La frustration le rendait impatient, l'impatience mettait de l'huile sur le feu de sa taciturnité, il était tantôt tendre, tantôt brusque. Me montrer douce ne faisait que l'exaspérer, ma colère attisait la sienne. L'incertitude nous étouffait.

Mr Hamilton s'est enhardi. Comme je ne répondais plus favorablement à ses sollicitations, il a cru judicieux de s'inviter au domaine "Je ne suis pas sûr d'apprécier les services de mon coursier, il semblerait que mes missives se perdent sur la route, un étrange phénomène" a t-il dit un jour en souriant. Je m'arrangeais toujours pour être de sortie lorsqu'il était présent, ce qui me demandait des trésors d'imagination. Peut-être prenait-il ma résistance pour une parade amoureuse, pour une comédie, peut-être pensait-il que mon "non" ferme déguisait un "oui" timide.

Toujours est-il que la situation dans laquelle nous nous trouvions était désastreuse. Dans les jours qui ont suivi, j'ai évité les sermons de ma mère du mieux que je pouvais, sous le regard curieux et observateur de mon père. De qui prenait-il le parti ? Impossible de le savoir, il ne laissait rien transparaitre.

A la table du déjeuné, j'ai émis l'idée d'envoyer une invitation à Mr Thomas, il m'avait sauvé la vie après tout, nous lui devions bien cela. Ma mère s'est gardée de faire le moindre commentaire, elle ne m'adressait plus la parole, prétextant que tant que je m'obstinerais, elle ne voyait aucun intérêt à converser avec moi. A l'inverse, la perspective de recevoir mon sauveur a ravi mon père "Quelle charmante attention, Rosie ! Je ne sais pas pourquoi nous n'y avons pas pensé plus tôt, nous aurions dû le convier depuis bien longtemps déjà, il a été si prévenant avec vous lors de votre accident !".

"Il a été très avenant, en effet... Il aime beaucoup pêcher, souvenez-vous" lui ai-je rappelé avec un sourire tendre. Il a tapé dans ses mains d'un air guilleret "C'est parfait ! Nous irons pêcher à l’étant dans ce cas, vous pourrez amener quelques lectures avec vous. N'oubliez pas votre ombrelle, petite Rose, vous avez souffert de la chaleur la fois dernière, nous ne voudrions pas écourter la visite de ce jeune-homme !". Il a ordonné qu'on envoie une missive à Mr Thomas à l'instant même et qu'on lui prépare son matériel, j'étais aux anges.

La nervosité est montée au fur et à mesure.

Fébrile, j'ai guetté son arrivée par la fenêtre de ma chambre, en attachant un ruban rouge dans mes cheveux, une ombrelle en dentelle pendue à mon bras. Je l'ai vu remonter l'allée à pied d'un pas ferme, une appréhension toute nouvelle m'a saisi. J'ai examiné ma tenue, une robe rose pâle toute simple, le seul apparat visible étant le ruban. Cette robe était-elle assez jolie ? Mon comportement m'a fait froncé les sourcils "Je suis ridicule" me suis-je murmurée à moi-même.

Mon père m'a hélé et après une inspiration profonde, je suis descendue pour accueillir notre invité, me postant en bas des marches. L'attention que Thomas avait apporté à sa tenue m'a fait sourire, sa chemise était à la bonne mode, blanche avec des lacets, une légère touche de dentelle sur le col, ses chaussures en cuirs étaient usées mais de bonnes factures. Il avait fier allure. Si vous l'aviez vu, Edith... Sa tête s'est inclinée en un salut affable "Monsieur De Beauville". Mon père lui a souri "Mr Thomas, nous sommes enchantés de vous voir, absolument enchantés, n'est-ce pas, Rose ?". J'ai acquiescé et les yeux de Thomas ont accroché les miens "Vous êtes très en beauté" m'a t-il complimenté, gauche. Mes lèvres se sont étirées vers le haut, mes joues se sont empourprées.

Mon père m'a donné le bras jusqu'à la calèche et nous avons fait route jusqu'au lac que possédait notre famille. Thomas a dit un mot gentil sur la propriété, ce qui a rendu mon père si heureux qu'il n'en finissait plus de bomber le torse, fier comme un coq au milieu de sa basse cour. Thomas m'a aidé à descendre, j'ai enroulé ma main autour de son bras et n'ai pas quitté son coté tandis qu'ils parlaient. Nous avons arpenté le lac pendant un bon quart d'heure, à la recherche de l'endroit parfait. Le cocher s'est installé à l'ombre d'un arbre pour faire une sieste, je me suis assise. "Vous allez tâcher votre robe" m'a réprimandé mon père. J'ai souri, mes doigts ont frôlé l'herbe que le soleil avait réchauffé et j'ai offert mon visage à ses rayons.

Une fois le matériel en place, mon père a négligé de surveiller sa ligne pour s'intéresser à Thomas, le questionnant sur sa situation. "Le plus souvent, je travaille la terre. Mr Travis m'emploie pour entretenir sa propriété et il m'arrive de venir en aide à mes voisins pour quelque travaux manuels" a répondu Thomas avec maladresse. "Aider son prochain, c'est très généreux de votre part. L'esprit chrétien se perd de nos jours" a déploré mon père. J'ai ouvert mon livre tout en les écoutant, en n'oubliant pas de tourner les pages de temps à autre, feignant de lire tout en tâchant de ne pas trahir ma curiosité.

"Et votre famille?" s'est interrogé mon père. Thomas a serré les mâchoires "Je n'en ai aucune. Ma mère est décédée lorsque j'étais encore très jeune". "Oh, j'en suis navré, je l'ignorais. Si ce n'est pas trop indiscret... Qui s'est chargé de votre éducation ? De toute évidence, vous n'avez pas été dirigé vers un orphelinat". La ligne a frétillé, Thomas a relevé sa cane à pêche en un habile coup de poignet et a sorti un poisson de l'eau. "Bien joué !" s'est exclamé mon père. J'ai pensé que Thomas profiterait de ce trophée pour ne pas répondre, il m'a surprise: "Ma grand-mère maternelle s'est occupée de moi jusqu'à ce que je sois en âge de lui rendre la même bienveillance" a t-il avoué.

J'ai fermé les yeux et ai imaginé un Thomas plus jeune, plus insouciant, prenant soin de son aïeule avec un air sérieux, sourcils froncés et lèvres plissées par la concentration. Cette vision m'a réchauffé le coeur autant qu'elle l'a brisé.

A la fin de leur partie de pêche, Thomas a cueilli une fleur sauvage, s'est arrêté devant moi "Permettez ?" a t-il demandé en me lançant un sourire malicieux. J'ai haussé un sourcil, il a coincé la tige de la fleur derrière mon oreille sans dire un mot. Ses doigts ont effleuré le ruban rouge qui ceignait mes cheveux, si près que j'ai pu sentir la chaleur de sa peau sans qu'il ne me touche. Ses yeux charbons se sont adouci, il a secoué la tête et baissé la voix pour que je sois la seule à l'entendre "Tu es magnifique". Le compliment a enflammé mes joues, l'intensité de son regard m'a faite trembler.

Thomas a pris congés de nous, mon père a insisté pour qu'il garde le fruit de leur pêche commune. Nous avons contemplé sa silhouette alors qu'elle s'évanouissait dans le lointain. "C'est un homme courageux, Rosie. Je l'aime bien" a concédé mon père en appuyant une main sur mon épaule. J'ai relevé les yeux vers lui et ai vu sur son visage toute l'acceptation que j'étais en droit d'attendre, mon coeur s'est gonflé de joie "Il me plait aussi, papa" ai-je reconnu, la gorge serrée. Il m'a tapoté l'épaule et m'a quitté.

Plus tard, quand votre frère s'est présenté à notre porte, mon père l'a reçu dans son boudoir privé. Je ne sais rien des mots qu'ils ont échangés mais Mr Hamilton n'est plus jamais revenu sans avoir été invité en amont.

Nos sorties avec Thomas se sont multipliées, ma mère s'est résolue à nous joindre avec une mauvaise volonté évidente qui n'a en rien entaché l'affection que mon père éprouvait à présent pour lui.  

"Penses-tu que je leur plaise ?" s'est inquiété Thomas une énième fois, au coeur d'une de nos escapades nocturnes. Je lui ai répété que ma mère était fâchée mais que mon père l'appréciait beaucoup, je lui ai récité ses paroles encore et encore. Sa nervosité m'amusait et aiguisait ma fébrilité. La flamme vacillante de l'espoir était devenue un véritable brasier. Il a pris mon visage entre ses mains et m'a embrassé avec une passion qui m'a donné le vertige.

"Rose..." m'a t-il soufflé "C'est insensé... Je dois savoir, s'il te plait, ne te moques pas, ne ris pas de moi" Thomas n'était que contradictions. Ses mots suppliant mais son ton exigeant, ses gestes brusques mais son attitude enflammée. "Que se passe t-il ? Pourquoi agis-tu de façon si étrange ? Thomas, que se passe t-il ?" Ai-je pouffé malgré sa requête.

Il s'est fâché "Rose, enfin ! J'essaye d'être sérieux, cesse de rire !". Mais il était si drôle ! Comment résister ? "Petite sotte" a t-il soupiré en me tenant le menton du bout des doigts. "Thomas" l'ai-je pressé. Sa prise s'est défaite, il s'est reculé comme si ce petit effleurement l'avait brûlé "Dis-moi... Si je venais à te faire ma demande, ne serais-je pas dément d'envisager que tu me répondes oui ?".

L'hilarité m'a déserté immédiatement. Tremblante d'émotion, j'ai dit "Je ne peux te répondre puisque tu ne fais que suggérer la chose". Il a aboyé un rire, a pris ma main brusquement, agité "Ma Rose, ne me tortures pas plus longtemps, je t'en prie". Son anxiété a placé un sourire frémissant sur mes lèvres "Oui, bien sûr que oui".

Sauvage, comme il l'avait toujours été, il m'a prise dans ses bras et nous a fait virevolter dans les airs. Il a fallu que je le réprimande comme un enfant avant qu'il ne consente à me reposer au sol. Thomas s'est repris, a fouillé ses poches, tendu la main et ouvert la paume. Dans son creux se trouvait un pendentif en bois qu'il avait sculpté lui même, deux lettres y étaient finement ciselées "T-R".

Thomas et Rose.

OHMONDIEU CEST MIGNON
et j'adore le papa de Rose, oh mais je suis sûre que ça peut pas être aussi facile :'(, pas dans ce monde là.
Mais c'est trop mignon quand meêm là, tout chou, rooooh <3 !

Coucou!

J'ai adoré ce chapitre. Je suis vraiment contente de voir l'espoir s'embraser. :'D Même si je me doute que cela ne va pas durer longtemps... J'ai d'ailleurs très peur pour le père de Rose, maintenant. TT

J'ai adoré ce père doux et aimant. Tellement contente que Rose ait un allié dans sa famille!!

La demande en mariage était très très belle.


Maë