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[Les 100 - UA] Le prince et l'assassin (chapitre 8)

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Maliae
Maliae
Piou piou piou piou piou piou piou piou piou piou
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MessageSujet: [Les 100 - UA] Le prince et l'assassin (chapitre 8) [Les 100 - UA] Le prince et l'assassin (chapitre 8) Icon_minitimeSam 3 Fév - 22:31

8. L'homme en noir.

Assis complètement nus au bord de la falaise, les pieds dans le vide, nous laissions le soleil nous sécher. J’avais des restes de rire à l’intérieur de moi, j’en sentais encore les vibrations, la contraction de mon estomac et cette impression que quelque chose se libérait. J’avais ouvert une porte et je ne savais pas comment la refermer, j’ignorais même si j’en avais envie, rire n’était pas désagréable, rire m’avait fait du bien. Jasper avait l’air super content.
- Tu n’as pas hâte de retrouver ton meilleur ami ? Lui dis-je. Sterling est tellement aimable et éloquent.
Jasper eut un frisson.
- Surtout éloquent, grimaça-t-il.
- Vous êtes tellement parfait majesté, laissez-moi vous servir de tapis majesté afin que vous ne salissiez pas vos chaussures royales majesté.
Le prince posa sa main à plat sur ma tête pour la pousser :
- C’est horripilant, dit-il. Je ne sais pas comment agir avec lui. J’ai l’impression que même si je vomissais à ses pieds, il ferait un commentaire positif sur mon merveilleux vomi.
- Pourquoi ne pas lui dire que tu veux qu’il te parle normalement ? Comme tu l’as fait avec moi ?
- J’ai essayé. Il n’a fait que se rependre en courbette et me dire que j’étais trop magnanime, et qu’il n’existait de prince aussi bon et aimable que moi et qu’il était touché par ma majestueuse sagesse.
Je posai une main sur ma bouche, je sentais le rire poindre à nouveau. Jasper attrapa mon poignet :
- Ne te retiens pas, me dit-il. Je ne t’avais jamais vu rire, à peine sourire.
Devais-je lui dire que je n’avais jamais ris ? Non. Il me poserait trop de questions. Je ne saurais pas comment lui expliquer que rire n’était pas utile quand on était élevé dans le seul et unique but d’assassiner un prince. Ce même prince qui tirait mon bras pour m’empêcher de cacher mon rire.
C’est comme ça qu’il posa ses yeux sur les cicatrices que j’avais au creux du coude. De toute les marques que j’avais sur le corps, je me demande pourquoi c’est celles-là qui attirèrent son attention. Il frôla les cicatrices avec ses doigts puis me demanda :
- Comment tu t’es fait ça ?
Les souvenirs remontèrent à la surface.
Je devais avoir six ans. Hannah pensait que j’étais trop faible. Je pleurais dès que j’avais un peu trop mal, et elle était obligé de me gifler pour que j’arrête. Elle voulait me rendre résistant à la douleur. Je me rappelle qu’elle m’a fait asseoir sur le siège devant notre cheminée avant de remonter mes manches. Elle posa ensuite ses deux mains sur mes joues.
- Je t’aime Monty, je t’aime très fort, je t’aime plus que n’importe qui d’autre.
Je souris, pleins de confiance pour ma mère, heureux de recevoir ainsi son amour. Elle se recula et me tourna le dos pour prendre le tisonnier dans la cheminée, son bout était rouge parce qu’il était resté dans les flammes.
- Tends ton bras, m’ordonna-t-elle.
Et je le fis sans me poser aucune question. Elle rapprocha le tisonnier de moi et je n’eus pas peur, parce que j’avais la certitude que ma mère ne me voulait pas de mal.
- C’est parce que je t’aime que je vais faire ça, dit-elle.
Et elle appuya le tisonnier brulant sur mon bras. Je hurlai et pleurai de douleur. Je ne comprenais pas pourquoi elle faisait ça, pourquoi elle me blessait ainsi. Quand elle relâcha le tisonnier elle posa ses deux mains sur mes épaules alors que je continuai de hurler :
- C’est pour te rendre plus fort Monty, c’est pour toi que je le fais, il faut que tu le supportes.
Mais je ne pouvais pas le supporter, la douleur était trop forte, trop horrible. Je n’y arrivais pas, je pleurai et pleurai encore.
Elle recommença un autre jour. J’hésitai à lui tendre mon bras quand elle me le demanda mais elle me le prit de force et posa le tisonnier au même endroit que la fois d’avant, rouvrant la blessure. Je criai encore cette fois-ci, mais elle eut moins de patience et me gifla :
- Supporte-le Monty, tant que tu ne le supporteras pas je recommencerai encore et encore.
Et c’est ce qu’elle fit.  Je ne sais pas combien de temps cela dura exactement, j’ai finis par perdre le compte. Elle me faisait toujours asseoir sur le fauteuil et relevait mes manches et m’assurait qu’elle m’aimait, qu’elle faisait ça pour moi et que je devais le supporter. Et que tant que je ne le supporterais pas alors elle recommencerait, par amour pour moi.
Encore, encore, encore, encore.
Les doigts de Jasper continuaient d’effleurer ma peau et j’eus presque la sensation du tison sur moi. Je repoussai brutalement sa main, et couvrit mon bras avec ma paume.
- Je me suis brûlé quand j’étais petit dis-je. Je jouais avec le tisonnier de la cheminée comme un idiot et voilà.
Ma mère avait arrêté le jour où j’avais été assez aguerri pour ne plus crier, serrant les dents de toutes mes forces, retenant mes larmes au plus profond de moi, préférant transpirer et souffrir plutôt que de lâcher une seule marque de ma douleur. Après ça, peu importe la blessure, rien ne me parut aussi insupportable et je n’avais plus ni crié, ni pleuré, j’étais devenu fort.
- Ça doit faire mal, commenta le prince.
- Un peu, admis-je. Mais grâce à ça je suis devenu très résistant.
Jasper me regardait dans les yeux comme s’il cherchait à lire en moi et découvrir ce qu’il s’était vraiment passé. Je tournai la tête et fixai la mer.
- Je vois. C’est pour ça que tu ne te plains jamais d’avoir mal alors que tu tombes tout le temps.
Sans répondre, je me relevai et attrapai mes vêtements :
- Nous devrions rentrer, tout le château doit être en émoi à cause de ta disparition.
Jasper acquiesça et nous nous rhabillâmes avant de rejoindre la plage puis le château. Le prince fut accueilli par une meute de gens inquiet, ils vérifièrent tous qu’il allait bien, qu’il n’était pas blessé, qu’il était bien rentré, et les questions fusèrent dans tous les sens. La comtesse Sterling attrapa carrément Jasper pour l’étouffer contre son énorme poitrine :
- Oh majesté je me suis tellement inquiétée pour vous.
Quand elle le relâcha enfin, le comte s’agenouilla devant lui :
- Je suis désolé majesté, tout est de ma faute, je vous ai contrarié.
Jasper leva les yeux au ciel :
- Relève-toi Dylan, tu n’y es pour rien. Nous avons juste décidé de nous éloigner un peu avec Monty, nous n’avions pas remarqué que personne n’avait pris la peine de me suivre et de veiller à ma protection.
C’est ainsi que Jasper réussi à retourner le problème, et que tous se répandirent en excuses, parce qu’ils n’avaient pas été assez vigilants et que si le prince leur avait échappé c’était uniquement à cause d’eux. Il se tourna vers moi et me fit un clin d’œil. Il n’était pas si idiot que ça.

La comtesse et le comte Sterling restèrent une semaine de plus, cette fois-ci, le comte ne jouait plus la serpillère uniquement pour Jasper mais pour moi aussi. Contrairement au prince, je profitai allégrement de la situation et le faisais tourner en bourrique aussi souvent que je le pouvais. Je lui demandais de sonner les domestiques pour un thé, puis je refusais le thé et lui donnait le plateau pour qu’il le ramène. Je lui proposais de brosser Alphard et faisais semblant d’être vexé quand il refusait, l’obligeant à accepter et à supporter les humeurs de mon cheval grognon. J’acceptais tout ce qu’il me proposait qui pouvait l’humilier, comme quand il secoua pendant plus d’une heure un éventail pour me rafraichir. Jasper ne disait rien, en faisant ça, j’attirais toute l’attention de Sterling sur moi et le prince pouvait souffler un peu et marcher tranquillement sans qu’on ne lui propose de nettoyer le sol sous chacun de ses pas.
J’étais insupportable mais Sterling ne se plaint pas une seule fois. Pas même quand je levai le pied et refusai de le poser :
- Il y a un caillou par terre, dis-je.
Le comte s’empressa de le retirer et me fit des louanges :
- Monsieur, le sol ne mérite même pas que vous le fouliez, merci de me laisser vous aider à le rendre le plus impeccable possible.
J’entendis Jasper glousser à côté de moi et le cacher dans un toussotement. Aussitôt, Sterling sortit un mouchoir de sa poche :
- Majesté, j’espère que vous ne couvez pas une maladie, voici mon mouchoir.
Le prince repoussa sa main :
- C’est bon, dit-il. Je vais bien.
Quand le fiacre emporta enfin la famille Sterling loin du château, Jasper poussa un gros soupir de soulagement et s’étira comme si on venait de lui retirer un gros poids des épaules.
Après leur départ, le château redevint calme, ma mère reprit ses bonnes vieilles habitudes de rester dans sa chambre et j’allai discuter avec elle tous les matins avant le petit déjeuner comme avant. Sa rencontre avec la comtesse l’avait un peu adoucis :
- C’était une femme comme je les aimes, qui connaît son rang et le respecte.
- Oui mère.
- Son fils t’a aussi traité avec respect n’est-ce pas ?
- Tout à fait.
- Parfait. Tu as pu voir le sort qui t’étais réservé pour plus tard. Combien les gens seront prévenant envers toi. Cela t’a plu ?
Je repensai à Sterling en train d’enlever un caillou sous mon pied et au ridicule de la situation.
- Beaucoup, répondis-je.
- Cela te donne une nouvelle motivation.
Je hochai la tête sans oser lui dire que je m’étais surtout moqué de Sterling et que je n’avais pas envie d’être un roi dont les sujets se baissent pour ramasser les cailloux sur son chemin. Bien sûr je voulais qu’on me respecte, mais pas qu’on fasse la serpillère pour me plaire.
- Je suis fière de toi, m’assura-t-elle. Continue tes efforts et tu auras la place qui te revient.
- Oui mère.
- Et quand c’est trop dur, viens m’en parler, je saurai trouver les mots pour te motiver.
- Oui mère.
- Je t’aime, fils.
- Moi aussi mère.
Les précepteurs recommencèrent à faire cours, Octavia nous entraîna à nouveau. Jasper et moi jouions dès que nous en avions l’occasion. J’avais l’impression que les choses devenaient plus faciles, que le prince me faisait désormais confiance et que nous pouvions continuer ainsi jusqu’à ce qu’il fasse de moi son héritier et que je doive me débarrasser de lui. Les choses ne pressaient pas, me disais-je, je lui ravirais sa place bien assez tôt. Je ne voyais pas ce qu’il pouvait y avoir de mal à simplement s’amuser avec lui, courir partout avec lui, s’allonger sur le sol et regarder le ciel avec lui, s’occuper des chevaux avec lui, aller sur la plage avec lui. Lui parler des fleurs et lui raconter ce que le jardinier m’avait exposé en premier lieu. Parce que c’était ce qu’il fallait que je fasse pour qu’il reste mon ami, mais je devais reconnaître que je commençais à réellement me prendre au jeu.
S’il avait été un serpent, s’il avait été froid et cruel, si j’avais dû lui prouver ma valeur en punissant les autres, ça aurait été sans doute plus facile pour moi. J’aurais fait ce que j’avais à faire, sans regret, sans même y penser, sans avoir besoin que ma mère me rappelle mon rôle dans cette histoire.
Sauf que Jasper n’était pas comme ça, et j’oubliais parfois qu’il était le prince, le fils de celui qui m’avait volé mon père. Et comment aurais-je pu y penser alors qu’il riait si facilement et me demandait de l’appeler par son prénom et de le tutoyer ? Par chance, un évènement n’allait pas tarder à me rappeler mon rôle et ma place.

Il faisait chaud ce jour-là, Jasper avait voulu aller à la plage et tandis que les vagues léchaient nos pieds, Jasper tentait de me faire rire en me chatouillant, ce qui n’avait aucun effet puisque je n’étais pas sensible. Pourtant le prince insistait :
- Tu es forcément un peu chatouilleux ! Au moins un tout petit peu.
- Non.
Jasper gonfla les joues et marmonna :
- Ce n’est pas juste. Je t’ordonne d’être chatouilleux !
Je secouai la tête et j’avançai mes doigts vers lui et il se recula :
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Êtes-vous chatouilleux, majesté ?
- Non pas du tout. Un prince n’est pas chatouilleux.
- Laisse-moi en juger par moi-même.
Je réussi à poser mes doigts sur ses côtes et Jasper se crispa de toutes ses forces tandis que je le chatouillais. Je le vis serrer les dents, refermer ses mains sur le sable, il tentait tant bien que mal de rester stoïque, mais j’insistai jusqu’à ce qu’il éclate de rire et tente de me repousser.
- Je ne suis pas chatouilleux, tentait-il de dire entre deux rires.
- Non pas du tout, lui dis-je en continuant.
Il essaya d’attraper mes poignets pour que j’arrête, en vain. Pourtant, alors qu’il était en train de se remuer dans tous les sens et de rire la bouche grande ouverte, il se calma aussi sec comme si j’avais cessé de le chatouiller. Je le vis ouvrir grand les yeux alors que j’entendais les galops d’un cheval derrière moi. Jasper sembla m’oublier totalement, il se releva soudainement et se mit à courir, je le suivis des yeux alors qu’il allait droit vers un grand cheval aussi noir que du charbon, dont le maître était caché par un grand manteau de la même couleur. L’homme s’arrêta à peine à côté de Jasper qui tendait les bras, il lui prit les mains pour le faire grimper devant lui sur le cheval et redémarra aussitôt, emportant le prince avec lui. Je restai assis sur le sable, les yeux écarquillés et dans l’incompréhension la plus totale de ce qu’il venait de se passer.
Le prince venait-il de se faire kidnapper ? Si c’était le cas, c’était de son pleins gré. Becca et le garde qui nous avait suivis m’oublièrent eux aussi et coururent après le cheval. Je mis du temps à réagir, mais finis par me relever à mon tour pour courir aussi. J’arrivai après tout le monde. Le château paraissait en émoi et je pensai que c’était parce que le prince avait disparu avec un mystérieux inconnu, mais personne ne paraissait le chercher. C’était comme si tout le monde s’affairait à faire autre chose mais rien qui ne concernait Jasper. J’avançai parmi tous ces gens occupés sans qu’il ne remarque mon existence. Un domestique me bouscula, eux qui l’évitaient d’habitude par peur de ma réaction, il s’excusa à peine et fut déjà loin bien avant que j’ai le temps de dire ou faire quoi que ce soit. Devant le château, se tenait le grand cheval noir retenu par un garçon d’écurie. Je ne voyais ni Jasper, ni l’homme au long manteau. Je m’approchai du garçon et demandai :
- À qui appartient ce cheval ?
- Vous ne le savez pas ? C’est celui du…
Il fut coupé par les cris de Jasper et je cessai de l’écouter pour me précipiter à l’entrée du château. Comprenant que le prince n’avait pas crié de peur mais de joie. Un homme le soulevait du sol, tendant les bras pour donner à Jasper l’impression de voler. Il ne portait plus son manteau mais je supposai qu’il s’agissait de l’homme au cheval noir. Quand les pieds du prince touchèrent à nouveau terre, il se jeta contre l’homme :
- Papa, je suis tellement content que tu sois enfin rentré.
Mon cœur se figea. Mon corps tout entier se figea. Seule ma cervelle se mit en branle alors que je fixai cet homme qui était le père de Jasper. Il avait le même nez long et un peu tordu que le prince, la même couleur de yeux également. Ses cheveux étaient cependant rasés et il portait une barbe brune assez broussailleuse.
- Tu m’as manqué Jasper, dit-il à son fils, je n’ai cessé de penser à toi tout au long de mon voyage.
- Tu m’as manqué aussi.
- Tu as été sage ? Tu n’as pas trop rendu fou tes précepteurs j’espère.
- Mais non, pas du tout, j’ai été très sage.
Je repensai à ses bêtises, à la fuite à cheval, à nous en train de sauter d’une falaise, à son bras cassé. Très sage hein…
Le roi s’accroupit pour serrer fort son fils dans ses bras et je le détestai. Il était là, à étaler son amour pour Jasper, à lui parler tellement gentiment, à être si doux avec lui, alors qu’il m’avait privé de mon père. Que jamais, jamais, je n’aurais quelqu’un pour être content de me revoir, pour me serrer comme ça dans ses bras, me soulever du sol et me dire que je lui ai manqué, à cause de lui. Je sentis mes dents grincer dans ma bouche tellement je les serrais fort les unes contre les autres, mon objectif me revenait de pleins fouet au visage et je me demandai comment j’avais pu oublier ne serait-ce qu’une seule seconde qui était Jasper. Le fils de cet assassin.
Très bien. J’allais me venger. Je le ferais. Cet homme m’avait pris mon père, je lui prendrais son fils.
Quand ils eurent fini d’afficher au monde entier combien ils s’aimaient, Jasper remarqua ma présence et tira sur la manche de son père :
- Papa, je te présente Monty !
L’homme tourna ses yeux vers moi et il perdit son sourire. J’imaginai que ça devait le gêner de se retrouver face à moi, de devoir faire avec moi, alors qu’il avait tué mon père. Peut-être préférerait-il que je sois loin de lui et pourtant c’était lui qui avait accepté que nous venions, Hannah et moi, dans ce château. Il s’accroupit en face de moi pour mieux me regarder, je tentai de sourire, mais mes lèvres refusèrent de m’obéir alors que je fronçais les sourcils d’un air tout ce qu’il y avait de plus haineux. Jasper se mit à côté de moi :
- Monty, je te présente mon père, Julian Alaric Jordan, le roi d’Arkadia.
Je lui aurais bien craché au visage à ce roi.
- C’est fou ce que tu ressembles à ta mère quand tu fais cette tête, commenta le roi.
Quelle tête ? Se moquait-il de moi ? Je me rembrunis un peu plus.
- Tu n’as pas l’air ravi de me rencontrer, commenta le roi, et je le comprends tout à fait. Mais moi je suis très heureux de te voir Monty. J’espère vraiment que nous pourrons créer des liens tous les deux.
Je restai silencieux et en colère, Jasper fut celui qui intervint à ma place :
- On est devenu amis tous les deux, n’est-ce pas Monty ?
Le prince attendit ma réponse qui ne vint pas, j’étais raide, braqué, si je bougeais j’allais étrangler le roi. Je fus sauvé de cette situation par ma mère. Elle avait dû entendre le branlebas de combat des domestiques et apprendre que le roi était de retour. Elle portait une longue robe noire dont la dentelle laissait visible la peau de ses bras, de son cou et de son dos. Ses cheveux étaient relevés et maintenues en chignon. Elle était maquillée, et portait un rouge sanglant sur les lèvres. Elle paraissait très stricte et sévère, encore plus que d’habitude. Elle s’approcha de Julian et lui tendit une main aux ongles acérés. Le roi la prit et y déposa sa bouche avant de se redresser.
- Julian, dit-elle.
- Hannah. Tu n’as pas changé. Tu es toujours aussi belle.
- Tu es toujours aussi flatteur.
- C’est un plaisir de te voir.
- Le plaisir est partagé.
Ils mentaient tous les deux et se fixaient, attendant que l’autre attaque le premier. Mais ils restèrent très cordiaux. Hannah posa sa main sur mon épaule, enfonçant ses ongles à travers mes vêtements :
- Tu as déjà fait la connaissance de mon fils. Monty.
- Effectivement. Nous venons de nous rencontrer. Je lui disais que j’espérais pouvoir créer des liens avec lui.
- Qu’en penses-tu, ne trouves-tu pas qu’il est le portrait craché de James ? Demanda-t-elle.
Les épaules du roi se raidirent, et pendant un instant la colère et la tristesse se bataillèrent sur son visage.
- Je trouve qu’il te ressemble, murmura-t-il.
Je baissai la tête. Personne ne trouvait que je ressemblais à mon père. Ni les domestiques, ni le roi lui-même. Ma mère appuya plus fort ses ongles encore, transperçant ma chair à travers les vêtements.
- J’ignorais que tu étais enceinte, reprit le roi, pourquoi n’as-tu rien dis ?
- Je l’ignorais aussi, au début. Est-ce que cela aurais changé quelque chose ?
Je relevai les yeux pour me rendre compte que Julian avait les siens fixés sur moi :
- Cela aurait tout changé.
Je ne comprenais pas ce qu’il entendait par là et regardai ma mère qui se pinça les lèvres d’un air furieux. Jasper intervint durant le silence qui s’installa.
- Papa, tu dois être épuisé et tu dois avoir faim. Quelle idée de rentrer à cheval comme ça, plutôt que prendre un fiacre.
- Je déteste voyager en grande pompe, soupira-t-il.
En cela son fils lui ressemblait beaucoup.
- Mais effectivement, j’ai un peu faim.
Jasper sourit :
- Je vais demander qu’on t’apporte quelque chose à manger pendant que tu te reposes dans ta chambre.
Le roi se pencha vers son fils et embrassa son crâne :
- Merci Jasper.
Julian passa à côté de nous et leva sa main pour la mettre sur mon épaule libre. Sa poigne était ferme mais douce, il ne m’enfonça pas ses doigts dans la peau.
- Monty, je suis vraiment heureux que tu sois ici.
Il passa à côté de Hannah et lui fit juste un signe de tête et finalement s’éloigna. Jasper courut aux cuisines. Ma mère attrapa mon bras et m’entraîna avec elle, me tirant fort dans les couloirs pour que je la suive. Elle ne me relâcha qu’une fois dans sa chambre, la porte fermée.
- Qu’a-t-il voulu dire ? Demandai-je. Quand il a dit que s’il avait su que tu étais enceinte, cela aurait tout changé.
- Qu’il m’aurait tué bien sûr, pour se débarrasser de toi. Il doit se douter que tu peux faire de l’ombre à son fils. C’était une menace.
Je serrai les poings, comment le roi osait-il menacer ma mère ainsi ? Je comprenais mieux pourquoi il avait accepté que nous venions vivre avec lui si facilement, il voulait nous garder à l’œil. Il devait avoir peur que nous montions une armée contre lui, préparions un soulèvement afin de récupérer le pouvoir. Il ne devait pas se douter que notre plan était beaucoup plus vicieux. Nous introduire auprès de lui serait sa perte et surtout celle de son fils chéri.

L’arrivé du roi rendit le château plus vivant et bruyant que jamais. Les domestiques s’affairaient sans cesse, alors que Julian recevait ses invités. Il accueillait dans la salle du trône toutes sortes de gens afin d’écouter leurs plaintes, leurs demandes, de recevoir leurs cadeaux. Jasper se tenait à ses côtés et Hannah insistait pour que nous soyons-là aussi. Cela faisait partie de mon apprentissage, disait-elle. De ce que je pus en juger, Julian était à l’écoute de ses sujets et essayait de faire les meilleurs choix possibles afin de contenter tout le monde, et pas seulement les plus riches. Il avait peut-être volé la place de mon père, mais ce n’était pas pour se comporter en tyran. Ça n’excusait en rien ce qu’il avait fait, ça expliquait peut-être qu’on lui faisait confiance.
Julian invita également de nombreux amis à lui, des aristocrates qui envahirent le château. Je constatais qu’ils n’étaient, heureusement, pas tous comme la famille Sterling même si tous respectaient le roi. Il y eut tout de même des dissensions au sein même de ces gens, certains étaient d’avis que le roi était trop bon d’avoir invité la duchesse Hannah Green et son fils dans son château, d’autres pensaient que c’était là notre place. Aucun n’osait parler du meurtre de mon père directement. J’imagine qu’ils avaient trop peur de finir comme lui.
Je sentais que ma mère était dans son élément, elle parlait à tous, même ceux qui étaient contre elle, et se tenait comme si elle était encore reine. Je l’aimais, elle était si belle parmi tous, si intelligente. C’était ma mère et j’étais tellement fier d’être son fils. Je prenais exemple sur elle. Je me tenais droit. Je regardais tous ces gens droits dans les yeux pour leur parler. Je leur faisais comprendre que j’étais un être supérieur, ou que je le serais bientôt. À côté de moi, le prince ressemblait plutôt à un enfant piégé dans le mauvais rôle. Il s’ennuyait, les politesses commençaient à le rendre dingue, les formalités il détestait ça, il cherchait à passer outre mais on lui rappelait sans cesse son statut. Son père était le seul à être vraiment affectueux avec lui et il en profitait allègrement, suivant le roi comme un poussin suit la poule. Il affichait un air heureux dès que Julian faisait preuve d’affection envers lui, lui parlait, s’occupait de lui. Mais le roi était sans cesse occupé ailleurs, on le demandait partout et au final il n’était pas tant que ça auprès de son fils. Jasper aurait sans doute voulu être seul avec lui, mais lui aussi devait répondre aux exigences de tous, faire des sourires, accepter les courbettes, discuter de choses importantes, retenir tous les noms pour ne vexer personne. Ce n’était pas un rôle pour lui, j’étais bien plus à l’aise, la place de prince me revenait.
De temps en temps, Julian m’adressait la parole, il voulait savoir comment je me sentais ici, comment je m’intégrais à la vie de château, si j’avais besoin de quelque chose. Il était toujours aimable mais j’étais incapable de lui parler. Chaque fois qu’il s’approchait de moi, je sentais tout mon corps se crisper. Je l’imaginais l’épée à la main, l’enfonçant dans le corps de mon père, j’avais envie de lui cracher dessus, de lui hurler après, de le tuer tout doucement pour bien le faire souffrir, j’avais envie de planter Jasper sous ses yeux pour lui faire comprendre ce qu’il m’avait pris. Et cette envie était pire toutes les fois où il était affectueux envers son fils, toutes les fois où il lui disait qu’il l’aimait, toutes les fois où il s’exclamait qu’il était fier de lui, toutes les fois où il parlait de Jasper à ses invités avec tant de passion.
Ma mère nourrissait ma haine à son égard toutes les fois où elle le pouvait.
- Il t’a pris ton père et il ose te regarder en face.
Il osait.
- Regarde comme il aime son fils, je suis sûre que ton père t’aurait aimé de la même façon.
Je ne le saurais jamais, à cause de lui.
- Ce meurtrier est au pouvoir et il séduit les gens autour de lui, c’est un beau parleur, il nous a pris notre place.
Il l’avait fait.
Je le haïssais, je le haïssais tellement que je n’avais plus qu’une idée en tête, me venger. Il n’y avait plus que ça, ça m’obsédait jour et nuit. Je devais pousser Jasper à faire de moi l’héritier et me débarrasser de lui devant son père. J’avais appris à rire et j’étais sûr que je pourrais rire devant sa souffrance. Je le ferais. Il verrait. Je le ferais.
Tout devint sombre pour moi. Les gens, l’entraînement, les cours avec les précepteurs, plus rien ne comptait que ma vengeance, que ma haine pour le roi. Ma mère trouva même un ancien domestique du château pour me parler. Ce domestique me raconta en privé, dans la chambre de ma mère, comment il avait bel et bien vu Julian tenir l’épée qui était enfoncé dans le corps de mon père.
- Il y avait tellement de sang partout, le roi... Le nouveau roi en avait pleins les mains. Et l’ancien roi, votre père, était mort, les yeux grands ouverts de surprises, il ne s’attendait sans doute pas à être trahis ainsi.
Ma mère me sourit froidement.
- Voilà ce qu’a fait le père de Jasper, dit-elle.
Je le savais déjà, mais cela ne faisait que confirmer les propos de ma mère. Encore une fois.

Je ne pouvais plus jouer innocemment avec le prince, je ne pouvais plus le laisser me toucher non plus. Je pouvais juste faire semblant, et de toute façon nous n’avions pas tant de temps ensemble puisqu’il fallait s’occuper des gens présents, des adultes comme des enfants.
Une nuit, j’entendis ma porte s’ouvrir dans mon sommeil et me réveillai immédiatement. L’ombre qui était entré vint se mettre sur mon lit et chuchota :
- Tu dors Monty ?
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- J’avais envie d’être avec toi et de te parler, dit-il. On n’a pas été beaucoup ensemble ces derniers temps.
- Non.
- Je peux rester ?
- Non, va dans ta chambre.
Je m’attendais à ce qu’il insiste, à ce qu’il se batte pour rester. Il se contenta de soupirer, descendit de mon lit et sortit de ma chambre, silencieusement. Je n’éprouvai rien. Je restai couché à nourrir ma haine envers son père.

Les semaines passèrent, l’effervescence se calma un petit peu au bout d’un moment, le roi invita moins de monde au château. Ceci dit, il n’était tout de même jamais totalement vide non plus. De temps en temps, le roi nous emmenait à l’extérieur du château. Tous ensemble. Son fils, Hannah et moi. Je pus visiter la ville proche du château, rencontrer ses gens. Jasper s’épanouissait totalement à l’extérieur, comme s’il était un oiseau à qui on ouvrait la cage. Il était plus à l’aise loin des protocoles, même si les gens de la ville, voyant leur roi et leur prince, s’agenouillaient devant nous. Jasper faisait comme s’il ne les voyait pas faire, entrait dans les magasins et touchait à tout, passait dans le marché et disait bonjour à tout le monde, il se baissa pour donner une pièce à un mendiant, il releva un tout petit enfant qui était tombé par terre et s’était blessé, il souriait et se tournait vers moi comme s’il cherchait à m’entraîner avec lui dans son bonheur. Ce qui était impossible. Pas tant que je marchais à deux pas de l’assassin de mon père.

Bientôt, ce fut l’anniversaire de Jasper, il fut fêté en grande pompe avec un énorme gâteau rien que pour lui. Le prince s’illumina devant tout le chocolat et le sucre dont était constitué la pâtisserie. Son père le prit dans ses bras, et lui offrit une nouvelle tenue, ainsi que des jouets de son âge. Jasper le remercia pour tout, même si son plus beau cadeau était sans doute la présence du roi à ses côtés. Je n’offris rien au prince. Je lui adressai à peine la parole de toute la journée. Je haïssais cette journée où Jasper s’amusait tellement avec son père à ses côtés. Je n’avais jamais fêté mon anniversaire, pour Hannah c’était une perte de temps inutile qui ne m’apporterait rien. Jasper n’attendit rien de moi, il me serra juste dans ses bras me prenant par surprise puis sourit :
- J’ai pris mon cadeau moi-même.
J’avais froncé les sourcils mais je n’avais rien dit. J’avais oublié. À quel point les câlins étaient agréables. Sauf que ça m’était égal, parce que j’allais me venger quand même.
Je ne m’attendais pas à ce que trois mois plus tard, le roi tienne à fêter mon anniversaire aussi. Hannah m’avait raconté, que c’est quand il avait su la mère de Jasper enceinte, que mon père avait décidé de nommer Julian comme héritier. Parce qu’il allait avoir un enfant. Il ignorait alors que sa propre femme venait de tomber enceinte également. Il l’ignorerait toujours, car il était mort avant de le savoir. Hannah s’était enfuit et m’avais mis au monde loin du château. Avait alors commencé ma vie, mon entraînement, le début de tout ce qui me mènerait à la vengeance.
Mon gâteau n’était pas au chocolat mais aux fruits :
- J’ai remarqué que tu préférais ça, me dit Jasper, c’est moi qui leur ai demandé de le préparer ainsi.
Il avait l’air heureux comme si on fêtait une deuxième fois son anniversaire. Hannah n’avait pas préparé de cadeau, elle ne voyait pas l’intérêt d’une telle fête, comme je m’y attendais.
- Attention, me souffla-t-elle à l’oreille, le roi essaie de t’amadouer et de te faire oublier ce qu’il a fait.
Ça ne risquait pas d’arriver, parce que je n’oublierais jamais. Jamais.
Quand le roi s’approcha de moi pour m’offrir mon cadeau, je me transformai en statue, comme à chaque fois. Sourcils froncés, bouché pincée, poings serrés. Cela n’empêcha pas Julian de me sourire et de s’accroupir pour me regarder.
- J’ai quelque chose de très spécial pour toi Monty. À dire vrai, je voulais le garder pour moi, pour me souvenir. Mais tu es son fils, alors je pense que ça te revient.
Il prit ma main et accrocha quelque chose à mon poignet. J’avais les bras trop fins et c’était trop grand pour moi. Le métal froid me fit frissonner et je levai la main vers moi pour voir de quoi il s’agissait. Une main glaciale cramponna mon cœur quand je réalisai de quoi il s’agissait. Une chaine à gros maillon, accroché à une plaque où était écris un prénom. James. La gourmette de mon père.
Je ne sentis plus rien ensuite. Ni le goût du gâteau, ni le câlin de Jasper comme cadeau, ni la baffe de ma mère quand nous nous retrouvâmes seuls tous les deux dans sa chambre.
- Reviens sur terre Monty, je t’ai dit qu’il cherchait à t’amadouer.
Mais mes doigts tournaient sans cesse la gourmette et mes oreilles entendaient à peine ce qu’elle me disait.
- C’est honteux de sa part, comment a-t-il osé garder ainsi la gourmette de ton père, et te l’offrir ainsi comme s’il pensait à toi ? Quel… Quel… J’en perds mes mots.
Elle avait raison bien sûr. Le meurtrier de mon père venait de me faire un cadeau horrible. Mais quand Hannah attrapa mon bras pour m’arracher la gourmette, je ne la laissai pas faire. Pour la première fois en onze ans d’existence, je repoussai ma mère pour qu’elle me lâche. Je fus battu pour ce geste, mais je gardai mon bras serré contre moi afin qu’elle ne puisse pas m’enlever le bracelet qui avait appartenu à mon père.

À suivre.
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