Au lycée, je croise Cila qui m'évite. Je croise Cisco qui me sourit, mon coeur bat plus vite. Je croise Dimitri qui m'adresse une grimace embarrassée et désolée puis va discuter avec ses copains. Et enfin, je croise Norah qui irradie de bonheur et qui elle ne se sauve pas comme si j'avais la galle. Au contraire, elle m'agrippe le bras et se met à parler à cent mots à la minute.
- Je suis tellement désolée, Kay, j'ai agi comme une conne, Dimitri m'a tout expliqué et j'ai tout compris de travers comme d'habitude, j'ai été super injuste et super dégueulasse, mon dieu, est-ce que tu me pardonnes ? Dis-moi que tu me pardonnes, je me sens hyper mal de t'avoir jugé comme ça et d'avoir interprété la situation, je sais que tu as essayé de me parler et à chaque fois je t'ai ignoré, je comprendrais que tu ne veuilles plus me parler du tout, je...
- Bordel, Norah ! Ralentis, ok ! Bien sûr que je te pardonne mais la prochaine fois que tu me fais le coup, je prends Dimitri et je t’assomme avec, on est bien clair ?
Norah joint les mains devant elle, penaude et hoche la tête avec un petit sourire coupable. Je secoue la tête et passe mon bras autour de ses épaules:
- Abrutie, va. Dis-moi qu'il t'a invité au bal, cet idiot.
Le visage de Norah s'illumine soudainement, son pas se fait sautillant et j'ai ma réponse avant de l'entendre me dire avec une voix extatique:
- Dimitri m'a invité au bal !
- Félicitation, il était temps.
- Tu n'es pas fâchée ?
- Oh que si, je suis si fâchée que je vais m'infiltrer dans ta chambre et ruiner ta belle robe pour le bal, comme dans un film d'ado débile.
Norah se marre alors je continue:
- Et quand tu trouveras une robe de remplacement et que tu viendras au bal, je ferais exprès de trébucher avec mon verre de ponch et je ruinerai ta deuxième plus belle robe de la soirée. Et après Dimitri aura pas d'autre choix que de reconnaître mon génie diabolique, je l'enfermerais dans une cage et on partira ensemble vers le soleil couchant, muhahahahaha.
- T'es dingue, t'es trop con, Kay, rit Norah.
- Merci, je cultive ma folie depuis 17 ans, c'est toujours cool d'entendre que l'apprentissage porte ses fruits.
Norah rit, on rejoint Reagan qui doit finir son projet d'art dans pas longtemps et une fois réunies, on va dans un café pour discuter autour d'une menthe à l'eau. Notre sujet de conversation principal ? Priscila.
- J'ai essayé de l'appeler mais elle ne veut prendre aucun de mes appels.
- La dernière fois, quand elle a pété un câble à la cafétéria, je suis allée la voir et elle m'a dit qu'elle avait des problèmes.
Je me mords les lèvres en repensant à Cisco, à la jalousie de Cila.
- Vous ne pensez pas..., commencé-je.
Leurs têtes se tournent vers moi, j'ai piqué leur intérêt, maintenant je suis obligée de continuer ou elles vont me harceler... Je soupire:
- Vous ne pensez pas que ça a un rapport avec Cisco ?
Norah cligne des yeux sans comprendre, Reagan fronce les sourcils.
- Cila... Elle est dingue de Cisco, non ?
- Quoi !? S'exclame Norah, les yeux écarquillés.
- ... J'ai remarqué qu'elle s'intéressait à lui, avoue Reagan. Mais pourquoi ça aurait un rapport avec lui ?
- Je sais pas, à la cafétéria elle n'arrêtait pas de répéter qu'elle n'était pas jalouse... Mais peut-être que c'est exactement ça... ?
- Elle serait jalouse ?
Je hausse une épaule avec incertitude en réponse à la question de Reagan. Norah pose ses deux mains sur la table posément et remet une mèche de cheveux noirs derrière son oreille avec un geste lent:
- Attendez une seconde, vous deux. Vous êtes entrain de me dire que Cila, notre Cila, la Cila qui ronchonne sans reprendre son souffle entre deux plaintes et qui s'engueule sans arrêt avec tout le monde et plus particulièrement Cisco... Est en fait amoureuse de Cisco ?
- On croit qu'elle l'est mais avec Cila...
- Okay... Mais pourquoi personne ne me dit jamais rien à moi, se plaint Norah.
- C'est pas comme si on en parlait ouvertement, interviens-je.
- C'était plus un soupçon qu'un fait avéré...
- Ok, vous en parlez comme si c'était un sujet tabou maintenant.
- Tout est tabou avec Cila, je lui fais remarquer.
- Pas faux...
Norah pousse un soupir à fendre l'âme et s'affale sur la table sans aucune grâce, je lève les yeux au ciel et croise ceux de Reagan qui sourit timidement par dessus la tête de notre petite asiatique exubérante.
- Qu'est-ce qu'on peut faire..., se lamente t-elle.
- J'ai essayé de lui parler après la dispute et elle m'a envoyé sur les roses.
- Et j'ai essayé de lui parler à la fête, elle m'a envoyé chier aussi, je ne pense pas qu'elle ait envie de me parler...
- Bon, c'est à mon tour alors, si je comprends bien.
- T'es du genre pacifiste, peut-être qu'elle t'écoutera, toi.
- Pas sûr... Bon, je ferais mieux de m'y mettre tout de suite.
Portable sorti, elle s'empresse de pianoter dessus. J'en profite pour sortir le mien et vérifier que je n'ai pas de SMS en attente. C'est à ce moment que le portable de Reagan se met à sonner, elle décroche, sourcils froncés en voyant le nom de l'interlocuteur. Son visage se ferme avec ce que la personne lui raconte et même Norah arrête d'écrire pour la regarder.
- D'accord, je vais revenir, j'arrive dans cinq minutes... Oui, à tout de suite.
Reagan raccroche et commence à rassembler ses affaires en vitesse:
- C'était Madame Reynolds, il faut que je retourne au lycée. Y a un soucis avec mon projet apparemment, grimace t-elle.
- Tu veux qu'on vienne avec toi ? S’inquiète Norah.
- Non, c'est bon, je vais gérer. On se voit demain à la cafét ?
- Ok... A demain !
On lui fait signe tandis qu'elle s'en va en vitesse. J'échange un regard perplexe avec Norah.
- Ça avait l'air plutôt grave, non ?
- J'espère qu'elle ne va pas devoir recommencer..., soupire Norah.
- Comment ça "recommencer" ?
- Tu ne savais pas ? Elle a eut du mal à comprendre le thème de leur projet, elle a jeté pas mal avant de réussir à trouver un projet qui soit validé par Madame Reynolds... J'ai entendu dire que c'était une vraie rapace, celle-là, elle pinaille sur des détails à chaque fois.
- C'est quoi leur thème ?
- Le reflet dans l'auto-portrait.
- Ah...
C'est du jargon pour moi, je comprends que Reagan ait pu se perdre, les thèmes sont trop vagues, comme si les profs s'attendaient à ce qu'on devine ce qu'ils attendent de nous... C'est n'importe quoi. Le portable de Norah vibre, la tête qu'elle fait n'annonce rien de bon, bouche ouverte, elle tourne son portable vers moi avec une mine indignée. Et pour cause, sur la page SMS, il y a écrit:
VA TE FAIRE FOUTRE ! - 16:48- Je pense qu'elle ne veut pas me parler..., boude Norah.
- Nan, serieux ? Ironisé-je.
**
Je pense que la déprime me guette... - 20:15Ow :'( Tu veux en parler ? - 20:22
Non, pas vraiment *soupire*. T'inquiète... Remonte moi le moral ? é_è Jeu des cinq questions ? N'importe quoi... - 20:24*calin* Ok... Notre chanson ? – 20:26 Robbers de The 1975. - 20:28Oh ? Connais pas *s'en va l'écouter* – 20:30
C'est pas tant la chanson que ce dont elle parle et l'ambiance du clip - 20:32Tu vas me faire rechercher la signification de la chanson ou tu me racontes ? - 20:35 Le chanteur a toujours été fasciné par les histoires d'amour à la Bonie and Clide... Moi aussi Ca parle de relations si fortes que la morale et tout le reste disparaît pour passer au second plan. L'univers se réduit à deux personnes, c'est de ça que ça parle – 20:38C'est beau... Et flippant en un sens XD Ok, je promets de l'écouter religieusement, je te tiens au courant ! En attendant... Dis-moi quelque chose que personne ne sait sur toi - 20:40
Hm... Quand j'étais jeune, je me battais sans arrêt avec d'autres mioches- 20:43Marrant, je te voyais pas du genre bagarreur ^.^" – 20:48
C'est plus mon genre depuis longtemps, t'inquiète pas- 20:50Pourquoi tu te battais ? - 20:51
Je sais pas vraiment... Peut-être parce que je sentais que si je le faisais pas, quelqu'un allait me tomber dessus. J'étais un peu parano, je crois, eh eh – 20:53Et toi ? Quelque chose que personne ne sait sur toi ? - 20:55Je regarde mon pyjama un moment et penche la tête sur le coté. C'est le moment où jamais, si mes rondeurs ne l'ont pas fait fuir, c'est le test suivant. Je prends une photo de moi dans mon pyjama et le lui envoie.
Voilà, elle est là, la dite chose, avec preuve avec l'appuie, ah ah. Si tu l'envoies à qui que ce soit, je te tues et j'enterre ton corps en forêt. - 20:59
AH AH ! <3 - 21:00Et personne ne le retrouvera jamais, JAMAIS. - 21:02
... - 21:03Je te déteste - 21:05
Nan, tu m'adores trop pour ça - 21:07Je souris, me mords les lèvres.
Peut-être bien... - 21:10
T'es mignonne. Il te va bien <3 - 21:12Test passé haut la main. Je pense bien être amoureuse pour de bon.
**
Plus tard, j'écoute, je regarde le clip de Robbers de The 1975 et je reste sur le cul. Ils fument et plus, c'est malsain, c'est toxique et pourtant...
Ok, je comprends ce que tu veux dire pour The 1975 – 00:00
Notre chanson ? - 00:02Définitivement notre chanson - 00:05
**
- T'as entendu les nouvelles ? Me demande Norah, essoufflée.
Je cligne des yeux. Elle est débraillée, ses yeux sont arrondis à l'extrême et elle a l'air choqué.
- Non, quelles nouvelles ?
- DES TAS DE NOUVELLES ! Bon sang, comment tu fais pour ne pas être au courant, je t'envie des fois ! C'est tellement la merde, Kay, TELLEMENT !
- Ok, calme-toi et explique depuis le début parce que je pige que dalle, là.
Norah se laisse tomber sur le banc à coté de moi, pose son sac, reprend son souffle.
- Bon. Je sais même pas par qui je dois commencer, c'est tellement la merde aujourd'hui, dit-elle, attristée.
- Choisis, dépêche !
- Bon... Alors, tu te souviens que Reagan a du repartir hier parce qu'elle avait un soucis avec son projet ?
- Oui, et alors ?
- Et ben, voilà, il n'y a pas un soucis, il y a un BIG PROBLEME ! La classe d'art a été vandalisé et plusieurs projets d'art sont complétement foutu, elle va devoir tout recommencer et il lui reste genre même pas une semaine pour tout reproduire à l'identique alors que ce genre de truc ça met des plombes, tu vois !?
- Merde... Putain, elle doit être dégoûtée...
- C'est un euphémisme ! Les profs sont entrain de voir pour leur obtenir un délai mais avec l'académie et tout ça, ils ne font pas ce qu'ils veulent...
- La pauvre...
Elle avait tellement travaillé pour son projet... Combien de fois elle a manqué les pauses déjeuné pour bosser sur sa toile. Un élan de rage me prend contre ces fouteurs de merde qui foutent tout en l'air.
- Quelle bande de mal baisé alors ! J'éclate.
- Attends, c'est pas fini, le pire arrive, geins Norah.
- Quoi, y a pire que ça ? J'espère que t'as de la ventoline dans ton sac !
- Cisco en a eut assez que Cila l'ignore, il l'a bloqué dans le hall, puis tu le connais, il a tellement insisté, tellement poussé qu'elle a pété un câble. Elle lui a balancé son sac en pleine tronche, il l'a frappé avec son sac à dos, il lui a jeté son bonnet à la figure, bref, je te passe les détails...
- Ils en sont venus aux mains ? Demandé-je, abasourdie.
- Ils en viennent toujours aux mains, bref, c'est pas ça le plus grave.
- Parce qu'il y a plus grave !?
Punaise, à ce train là, je vais vraiment avoir besoin d'une bombe de ventoline... Norah me lance un regard agacé.
- Tu me laisses finir, oui ou non ?
- Oui, allez, vas-y, c'est quoi le plus grave ?
- Cisco arrêtait pas de lui demander ce qui n'allait pas, elle s'est bouchée les oreilles alors il s'est mis à gueuler et elle a carrément pété un boulon, elle s'est carrément mise à pleurer et elle a fait une crise de nerf. Elle est repartie en ambulance !
Je palis brusquement, Norah m'adresse un coup d'oeil paniqué.
- Comment elle va ? Elle va bien ?
- Je sais pas grand chose mais apparemment c'était une crise de nerf... Cisco a voulu l'accompagner à l’hôpital mais ils ont pas voulu le laisser monter avec elle, ses parents vont la rejoindre et tout mais... Qu'est-ce qui se passe, Kay ?
- J'en sais trop rien...
Tout part de travers.
**
A l’hôpital, on doit attendre avant d'être autorisées à entrer, on nous dit "pas plus de deux et pas longtemps parce qu'elle doit se reposer". Cila est assise sur son lit, elle regarde la télé, elle est pâle, ses yeux sont rouges et elle a des cernes mais à part ça, elle paraît... bien. Fatiguée, comme si elle n'avait pas dormi de la nuit, mais pas malade ou autre. Norah et moi, on se regarde entre nous puis je toque sur la porte. Cila se tourne vers nous et son expression se plisse sous la nervosité.
Je reste en retrait, gênée... Norah brise le silence d'un soupir, elle pose lourdement son sac au sol et se dirige franc bon vers le lit où elle s'assoit avant de pousser un peu Priscila qui la regarde faire, médusée.
- Tu regardes la chaîne des débats toi maintenant ? Tu veux te pendre prématurément ou quoi ?
Norah change de chaîne et s'étale sur le lit médical avant de se tourner vers moi avec un énorme sourire:
- Eh ben, reste pas là-bas, toi, rejoins-nous !
Je lui rends son sourire, pose mon sac et grimpe avec elles. On se serre les unes contre les autres comme des sardines, Norah met une chaîne avec des dessins animés. Dix minutes passent sans qu'aucune d'entre nous ne parle, jusqu'à ce que je sente une tête se poser sur mon épaule. Je me tourne vers elle, aperçoit ses doigts entremêlés à ceux de Norah, qui serrent fort. Je prends son autre main et me tourne sans un mot vers la télé.
- Je suis désolée..., chuchote Cila au bout d'un moment.
Elle renifle avec son dédain habituel mais le coeur n'y est pas.
- Ils disent que je fais une dépression bizarre, que c'est possible que je sois bipolaire. Que les changements d'humeur et tout, c'est pas vraiment de ma faute et qu'ils vont me mettre sous traitement... mais pas trop pour pas me transformer en junkie, se marre t-elle.
Je serre plus fort sa main dans la mienne, Norah enroule son bras libre autour de la taille de Cila et on finit en une sorte de sandwich bizarre, avec elle au milieu.
- On est là.
**
Priscila est sortie de l'hopital - 19:25Oui, je sais... Ils la gardaient en observation aujourd'hui, ils lui ont dit de se reposer et de reprendre les cours quand elle se sentirait prête - 19:27
... Elle va y retourner dès demain, pas vrai ? - 19:29La connaissant ? Oui, fort probable. - 19:30
Je ne sais pas trop comment me comporter avec elle maintenant... J'ai peur de la casser :S - 19:30Elle va bien, traite la normalement. Si tu fais des différences, ça va la mettre en colère, je crois... - 19:30
Ouais, t'as raison. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire... - 19:30Ouais, je vois ce que tu veux dire... - 19:30
**
Cila revient en cours après deux jours de repos forcé de la part de ses parents, elle semble plus reposée, en phase avec elle-même, comme si entendre ce qui se passait de la bouche des spécialistes l'avait rassuré.
A l'heure sacrée de la pause déjeuné, Cisco s'approche d'elle, penaud, il s’assoit à coté d'elle en levant son sac devant lui en guise de bouclier. Elle le toise de haut en bas, narquoise.
- C'est pas ton pathétique sac à dos qui va te sauver si j'ai envie de te frapper, j'espère que t'es au courant.
- Ouais, mais il va peut-être absorber la violence des coups ?
Elle lève les yeux au ciel, il baisse son sac et sourit. Je les observe et je me demande, je me demande... Je me rappelle de ce moment magique dans le placard et plus je regarde Cisco, plus je me demande s'il serait capable de flirter avec Cila comme il est entrain de le faire, alors qu'il me parle si intimement une fois la nuit venue. J'ai envie de lui taper dessus soudainement, moi aussi.
- Elle est où Reagan ? Demande Dimitri, étonné par son absence.
- Elle refait son projet...
Les lèvres de Dimitri se pincent, il passe un bras autour de Norah pour la réconforter, je baisse les yeux sur mon plateau.
- Cisco Brown, aboie soudainement Priscila.
Le principal intéressé se tourne vers elle avec un sourcil haussé, son portable ouvert pas loin de lui avec une partie de ce qui ressemble à Pac-man en cours de chargement.
- ... Oui ?
Cila l'imite et croise les bras:
- Est-ce que tu veux venir au bal avec moi ?
J'accuse le coup, comme Cisco apparemment. Il se remet rapidement pourtant, un coin de ses lèvres étirés vers le haut, il retourne à sa partie de Pac-man tout en fourrant sa fourchette dans sa bouche.
- Chai cru qua tu m'le demand'rai chamais ! S'exclame t-il.
- Avale ce que t'as dans la bouche, gros dégueulasse, se plaint-elle.
Cisco ouvre la bouche pour lui montrer la bouillie de nourriture et on fronce tous le nez, dégoûté. Cila lui file un coup de sac à main dans les côtes et il manque de s'étouffer.
- Je retire ce que j'ai dit, je te désinvite !
- Trop tard ! Tu m'as demandé, tu vas me subir maintenant !
- Je suis déjà entrain de regretter, soupire t-elle.
- C'est faux, je suis adorable.
Cila lui donne un coup de coude, Cisco le lui rend. Norah éclate de rire, je me tais.
- On peut vous appeler les deux C maintenant ?
- Jamais, gronde Cila.
- Vendu, répond Cisco en même temps.
**
La première chose que je fais en sortant du lycée, c'est d'envoyer un SMS à TOMB-R.
Est-ce que tu veux venir au bal avec moi ? - 16:38
Je me passe une main dans les cheveux, je range mon portable et marche énergiquement jusque chez moi, énervée, perdue, perplexe. Rentrée, j'embrasse ma mère même si je ne suis pas d'humeur, puis je dis que je vais faire mes devoirs et réviser pour les examens et m'enferme dans ma chambre. Je me déshabille et pense à enfiler mon pyjama habituel mais rien que l'idée de l'enfiler me donne envie de hurler.
J'enfile un pyjama bleu avec des rayures rouges, remonte mes cheveux en chignon au dessus de mon crâne et tourne en rond en respirant pour me calmer. Un pas, une inspiration, un pas, une expiration, et ainsi de suite. Je pose mes mains sur mes hanches et je recommence. Lorsque je suis plus calme, je reprends mon téléphone. Un SMS m'attend.
Je ne peux pas :S - 16:50Ben tiens, ça m'aurait étonnée.
Pourquoi ? - 17:04
Parce que depuis le début tu me fais tourner en bourrique ? Parce que tu vas au bal avec Cila finalement ?
Parce que je ne vais pas au bal, j'ai un truc à faire - 17:07C'est ça. Je jete mon portable sur mon bureau, me jete moi-même sur mon lit et hurle dans mon oreiller. Ca ne peut pas durer. J'en ai assez, je ne peux plus jouer. Je tends la main, récupère mon portable.
Tu as gagné. Je me suis lassée - 17:10
Qu'est-ce que tu veux dire ? - 17:12Je veux dire ce que je veux dire: je ne veux plus jouer. J'en ai assez des mystères, je t'aime bien mais les messages, ça ne me convient plus. Est-ce que tu viens au bal avec moi, oui ou non ? - 17:15
K, excuse, mais je ne peux vraiment pas venir au bal ! Je ne comprends pas, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? - 17:18Je suis tellement en rage, que je me contente de copier/coller un lien youtube pour le lui envoyer.
https://youtu.be/NERmgwWfnoI <= Puisque tu comprends mieux en musique ! - 17:20
Puis j'éteins complétement mon portable, j'éteins la lumière et je me résous à me coucher. Peut-être que dormir va effacer cette journée pourrie.
**
- Kay !
- Oh, je te jure, me parle pas, toi !
Je fusille Cisco du regard, ça a le don de le clouer sur place, j'en profite pour m'enfermer dans les toilettes des filles. Depuis ce matin, je suis irascible, il faut vraiment que je me calme. J'ai même envoyé Norah paître alors qu'elle n'est rien sinon adorable.
La sonnerie retentit mais j'ai Madame Adams, elle ne dira rien si j'arrive un peu après les autres. Je veux éviter les bousculades, et Cisco par dessus le marché, le connaissant il m'attend dehors. La porte s'ouvre et se ferme plusieurs fois, je reste dans ma cabine fermée à clef, les pieds relevés, la tête posée contre mes bras repliés. Je détache mes cheveux et je me cache derrière eux.
- Kylee ? T'es là ?
J'ai envie de ne pas répondre. Mais la culpabilité prend le dessus, j'ai déjà envoyé chier tellement de personnes...
- Ici, je soupire.
- Tu te sens bien ? Cisco m'a croisé dans les couloirs et comme il ne veut pas passer pour un pervers en entrant dans les toilettes de filles...
Je renifle avec amusement, donc j'avais raison, il attend bien dehors ce salaud.
- Je vais bien. J'avais besoin de calme et je l'avais nulle part.
- Oh... Ok, je vais partir alors.
- Attends...
Je laisse la porte fermée mais rattache mes cheveux, réfléchit.
- Et ton projet d'art ? Ça avance ?
- Un peu... Il me reste trois jours pour le finir.
- Les profs n'ont pas réussi à vous obtenir une rallonge alors.
- Non. Mais ils nous ont autorisé à ramener les travaux pour qu'on puisse bosser dessus chez nous.
- Comme c'est généreux, j'ironise.
Une secousse agite la porte, comme si Reagan s'était appuyée contre elle.
- Est-ce que ça va ?
- Ouais...
- Vraiment ?
Je soupire. Je regarde mon portable qui dépasse de mon sac, par terre. TOMB-R a essayé de m'envoyer des tas de messages mais je les ai effacé sans les lire et je l'ai bloqué.
- Je suis en colère contre quelqu'un.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il est lâche et qu'il joue à des petits jeux avec moi. Et que j'aime pas ça. Du tout.
- Peut-être que tu devrais arrêter de lui parler alors.
- C'est ce que je fais.
- Ok... Cool...
Un silence embarrassé s'installe. Je me rends compte que je parle pas beaucoup avec Reagan en général, parce qu'il y a toujours Norah ou Cila en guise d'intermédiaire, de relai.
- Tu te souviens du problème de math que je t'ai passé ?
- Ouais celui où y avait une faute ?
- Ouais... Et ben figure-toi qu'il n'y avait pas de fautes. Le prof l'a recopié tel quel au tableau ce matin en nous demandant de le résoudre.
- Il a fumé, c'est pas possible autrement.
- Possible, se marre Reagan. Tu peux quand même y jeter un coup d'oeil quand t'auras le temps ?
- Ouais, bien sûr.
Avec son projet d'art, la pauvre, elle ne doit pas avoir le temps pour ce genre de conneries.
- Ok... Bon, j'y vais, je vais être en retard. A la prochaine ?
- Hn hn...
Reagan sort en claquant doucement la porte derrière elle. Je claque ma tête contre la paroie dans mon dos et me décide à faire la même chose. Heureusement, quand je quitte les toilettes, Cisco a disparu.
**
En rentrant à la maison, je retrouve le papier avec le problème de math et je l'examine avec un regard critique, sous tous les angles.
128√e980
Mais rien du tout.
Son prof a vraiment fumé quelque chose de pas net.
**
- Pour la millième fois au moins, non je ne vais pas au bal. I'm not going to the bal, yo no me voy al baile de graduacion, non ho intenzione al ballo, comment on le dit en japonais, Norah ?
- Watashi wa puromu ikimasen, sourit-elle en examinant une robe bleu sous toutes les coutures.
- Voilà, c'est ça. Ikimasen, ikimasen !
- Moi vivante, tu viendras au bal ! Insiste Cila.
Je la fusille du regard et me cale un peu plus fort sur le canapé pour marquer le coup. Cila n'a pas l'air impressionné, Norah semble porter autant d'intérêt à la conversation qu'à sa première chaussette.
- Tu réalises combien c'est hypocrite, non ? Je suis sûre que si tu n'avais pas de cavalier, toi non plus tu n'irais pas !
- Sauf que moi j'ai demandé à quelqu'un au moins.
- Je l'ai fait aussi ! Rétorqué-je, sur les nerfs.
Cila ouvre la bouche, la ferme. Norah abandonne enfin sa robe et se tourne vers nous.
- Il a dit non ? Demande t-elle.
- Voilà, il a dit non, maintenant, est-ce qu'on peut revenir au sujet de conversation principal ? Je n'irais pas au bal, je ne tiendrais pas la chandelle ni entre toi et Cisco (Cila croise les bras, vexée), ni entre toi et Dimitri (Norah fait la moue) et pas question que je me noie dans le ponch en ressassant le fait que personne ne m'a invité et que je me suis fait jetée comme une merde, ok ? Je vais passer la soirée avec mon ordi, un bon film et je réviserai pour les examens, ce sera toujours ça de pris.
- Ok, maintenant je suis déprimée, soupire Cila.
- Tu as demandé à qui ?
- A un gars, tu connais pas.
Ah ah...
- Bref, je veux bien vous aider à choisir vos robes mais ça s'arrête là.
Tu peux toujours en prendre une... Pas pour le bal ! S'empresse de dire Norah. Mais c'est toujours bien d'avoir une jolie robe dans son placard, non ? Pour les grandes occasions ou les moins grandes occasions.
- Mais surtout pour les grandes occasions, affirme Cila. D'ailleurs, je voulais savoir, est-ce que Dimitri et toi vous sortez enfin ensemble ? Enfin, je veux dire, il t'a invité au bal et tout le reste, vous êtes mignons, tout ça, tout ça, mais le concret dans tout ça ?
Je hausse un sourcil, tout aussi curieuse. Norah rougit, ce qui est une réponse en soit. Cila ricane de façon diabolique.
- J'en étais sûre, petite cachottière. Future femme de footballeux, quel beau métier.
J'ai d'autre projet dans la vie que d'être femme de footballeux, merci bien, sourit Norah.
- Ouais c'est vrai. Les femmes au pouvoir !
- Et toi et Cisco ? Interroge Norah.
Je fais semblant de m’intéresser à une robe sur un portique. Elle est hideuse mais bon, personne ne va venir me le dire et je ne veux surtout pas participer à cette conversation.
- Beeeeen... Disons que si j'entends encore parler de jeux vidéo, je vais les lui faire bouffer et que si je parle encore du dernier veston à la mode, il va me faire bouffer ma garde de robe... J'estime qu'on est un couple parfaitement équilibré.
Norah éclate de rire. Je m'éloigne dans les rayons et je me retrouve à vraiment regarder les robes, autant lier l'utile à l'agréable. Je retourne une étiquette et l'intitulé de l'article me transperce d'un coup.
Vagues printanières.
Tu divagues
Vagues. - Elle est jolie...
Je sursaute. Norah est pratiquement perchée à mon épaule, elle détaille la robe que je tiens en main et hoche la tête avec approbation.
- Tu devrais la prendre, elle est très belle.
Je déglutis et me dirige droit vers la caisse, achète la robe en quatrième vitesse et sors parce qu'une irrésistible envie de pleurer me pique les yeux.
**
Le soir du bal, je suis dans mon lit, blottie dans mon pyjama rose à lapins gris, l'ordi ouvert devant moi avec la formule ouvert sur mon écran word.
128√e980
Je baille, épuisée de me creuser la tête sans rien trouver. J'aimerais aider Reagan mais rien ne me vient. C'est peut-être bien une formule impossible. Mon portable clignote, j'ouvre la messagerie et reçoit des photos de Cila et Norah, toutes les deux magnifiques dans leurs robes rose et violettes, aux cotés de leurs cavaliers. Cisco porte une rose rose à la poche de sa veste pour rappeler la couleur de la robe de Cila et Dimitri une énorme fleur violette qui ressemble à un dahlia, pour rappeler celle de Norah. C'est mignon de leur part.
Je soupire, me frotte furieusement le crâne et m'éclate les yeux sur la formule. Il y a quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Je penche la tête sur le coté, de l'autre coté, réfléchit, ne trouve rien, perd patience, tape sur mon clavier. Et là. Je ne sais pas ce que j'ai fait exactement mais le texte est coupé en deux par une barre verticale.
Je couvre la partie supérieure avec ma main, efface tout et recommence. Mon coeur se met à battre dans ma gorge, et en un instant, la formule est résolue, et le résultat m'apparaît clairement, là, sous mes yeux.
Reagan.
**
Je tourne en rond, je regarde mon portable et j'essaye de recoller les morceaux avec ce dont je me souviens et tout colle. La petite soeur, les discussions, l'ami proche, le numéro de portable de Reagan que je n'ai pas... Le seul truc qui ne colle pas, c'est ce foutu pseudo. TOMB-R. R pour Reagan ? Mais TOMB ? TOM ? TO MB ? Non, ça ne va pas.
Je tourne, je tourne... Parce que tout ce que j'avais imaginé vient d'être retourné et que la personne que je pensais être un garçon s'avère être une fille, que j'ai tout pensé trop vite, que j'ai fait des conclusions hâtives.
Et le bal ?
Je me prends la tête entre les mains, ébahi par ma bêtise et par mon manque de clairvoyance.
- Putain, son projet d'art...
C'est pour ça qu'elle ne pouvait pas aller au bal. Parce que son projet d'art a été détruit et qu'elle est obligée de tout recommencer, que sa deadline est lundi et qu'elle manque de temps.
Je tourne encore, je creuse une tranchée dans ma chambre, perdue. Déboussolée.
Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je fais ?
Mes yeux accrochent mon portable sur mon lit, je me précipite dessus et je débloque le contact.
Je ne comprends pas, K ! - 17:23
Est-ce que tu m'ignores ? - 17:25
Tu m'ignores... - 17:36
Je ne peux vraiment pas aller au bal, je suis désolé - 17:59
Tu ne veux plus me parler, j'ai compris... - 19:20
-----------------------------------------
Tu m'as bloqué, hein ? - 08:58
C'est pas grave, je suppose que ça devait se finir comme ça. J'espère que tu trouveras quelqu'un pour t'amener au bal, tu devrais danser et t'amuser – 23:58
-----------------------------------------
Je suis désolé - 10:00
Tu me manques, un peu. - 00:00
-----------------------------------------
Ok, beaucoup - 23:26
-----------------------------------------
https://youtu.be/Iyy3YOpxL2k - 21:58 Je clique sur le lien et la musique qui résonne me fait fermer les yeux instantanément. Je presse mes paumes contre mes paupières et inspire.
Je souris. Eh merde.
Je sors la robe vagues printanières, je l'enfile le plus vite possible, je me fais une queue de cheval et je sors en coup de vent sans répondre au "bonne soirée" amusé de ma mère.
**
Au lycée, je regarde mon portable, il est plutôt tard... Je rentre avec ma carte étudiante et frissonne, j'ai oublié d'enfiler une veste dans la précipitation. Je passe rapidement dans la salle de bal, j'entrevois Cila, Norah et Cisco sur la piste de danse mais les évite. Mes yeux cherchent dans la salle, ne trouvent personne. Je soupire et me passe une main sur la nuque.
Je savais que Reagan ne viendrait pas mais j'espérais encore. Elle est sûrement chez elle, entrain de bosser sur sa planche. L'idée de devoir attendre jusqu'à lundi pour la voir m'est insupportable, je dois savoir, je dois tout mettre au clair, savoir, savoir, savoir.
Je m'eclipse et rattrape le bâtiment principal, dans le noir, le lycée devrait paraître inquiétant mais ce n'est pas le cas. Je connais si bien les moindres recoins que tout est familier et rassurant.
Elle est chez elle, elle est devant sa toile et elle est certainement entrain de peaufiner son projet. Et je suis ici, comme une idiote.
Je m'appuie contre un mur tandis que la réalisation me frappe de nouveau de plein fouet. La raison pour laquelle je n'ai pas envisagé que Reagan puisse être TOMB-R, c'est que c'est une fille comme moi, alors je l'ai rayé de la liste sans même la prendre en considération, sans lui laisser la moindre chance au départ. Cette pensée me fait grincer des dents, je ferme les yeux. Je me remémore ce moment, dans ce minuscule placard, mes mains moites dans son dos et les siennes traçant des sillons enflammés sur ma peau, son odeur, son souffle sur ma joue, le baiser qu'on n'a pas échangé cette nuit là.
Je me reprends et continue mon chemin. Il faut que je sois sûre, que j'essaye tous les endroits avant de baisser les bras. Je passe par les toilettes au cas où je l'aurais manqué mais elle n'y est pas, puis pris d'un vague espoir, je monte à l'étage et me dirige vers les salles d'arts plastiques. Les salles sont toutes éteintes, mon coeur tombe dans mes talons. Je soupire et me frotte les bras, déçue et glacée.
Mes ballerines ne font aucun bruit sur le sol, je continue jusqu'au bout du couloir et là. La porte est entrouverte et une lampe halogène éclaire la pièce. Quelque chose revient à sa place dans ma poitrine, ma cage thoracique paraît se contracter soudainement, enserre mes poumons dans un étau. Ça pourrait être n'importe qui. Je passe la tête par l'ouverture et assise sur une chaise, légèrement tournée de coté par rapport à la porte, Reagan contemple une toile avec attention. Je reste à l'entrée, à la regarder. Sa veste en jean – veste en jean, bon sang, aveugle, je suis aveugle – est sur le dossier de la chaise, elle porte une chemise à motif, manches courtes roulées jusqu'aux épaules, un jean noir et des grosses boots militaires. Ses cheveux courts sont repoussés en arrière mais une mèche s'obstine à retomber devant ses yeux, elle a une trace de peinture sur le menton, une autre sur la tempe et ce qui semble être de la poudre de fusain sur la joue. Chamboulée, je reste là un instant avant de toquer deux fois, comme pour raviver le souvenir de cette nuit qui ne m'a jamais vraiment quitté.
Un sursaut agite Reagan qui se tourne brutalement, un sourire lui vient pourtant en me voyant.
- Kay... Tu m'as fait peur.
- Tu travailles encore ?
Elle hausse une épaule nerveusement et regarde sa toile alors que je m'avance. Chaque pas est une torture et une délivrance à la fois.
- Ouais... Mais je pense que j'ai fini.
- C'est vrai ?
- Ouais. C'est pas aussi bien que ce que j'avais fait la première fois, il manque des couleurs, les formes sont pas géniales et c'est clair que ça manque de pleins de truc mais... En une semaine j'arriverais pas à faire autre chose que ça alors...
- Tu divagues...
- Vagues.
Le mot a quitté ses lèvres avant qu'elle ne comprenne le piège que je lui ai tendu, sans voir que je guettais sa réaction. L'expression de Reagan trébuche, sa bouche se crispe, elle ouvre la bouche, la referme, scrute mes yeux à la recherche de quelque chose. Qu'elle trouve.
- Je...
Elle se passe une main dans les cheveux, la nervosité me coupe la voix, je pensais que la voir rendrait tout facile, je me suis trompée. Reagan soupire, ferme les yeux, se triture la nuque avant d'arrêter brusquement, défaite:
- Je sais pas quoi dire.
- Je sais pas non plus, avoué-je.
Ses épaules s'affaissent, l'électricité court partout sous ma peau. Peut-être qu'on ne devrait rien dire, pas tout de suite. Avec un accroc dans mes gestes, je tends la main pour effleurer la sienne, elle rouvre les paupières et ses yeux se baissent sur mes doigts puis s'accrochent aux miens comme s'ils me demandaient "mais qu'est-ce que tu fais ?". Sa main se referme sur la mienne, mon bras entier est parcouru de frissons, de froid ou de chaud, je ne sais même plus.
Mais qu'est-ce que tu fais, K ?
De sa main libre, elle remet une mèche de mes cheveux qui s'est égarée sur ma joue derrière mon oreille. Je m'offre à sa caresse incertaine et clos les yeux à demi, l'observe sous mes cils avant de passer le bout des doigts sur les traces de peintures et de fusain qui ornent son visage. Son front se cale contre le mien, son souffle embrasse mes lèvres.
- J'ai résolu ton problème, dis-je en un murmure.
Ses yeux bleus me harponnent, je tente de remettre la mèche rebelle à sa place, en vain. Elle sourit et lâche ma main pour enrouler son bras dans le creux de mes reins, je me transforme en véritable brasier.
- C'est vrai ?
Son sourire est contagieux, un rire veut m'échapper mais je le retiens et enfouis ma main dans ses cheveux.
- Oui, c'est vrai.
Reagan ne me lâche pas du regard, je baisse brièvement le mien, intimidée d'être l'objet d'une œillade aussi intense.
- Qu'est-ce qu'il dit ? Insiste t-elle.
Son nez bute contre le mien, encore un centimètre, un petit centimètre...
- Ça dit que tu m'aimes.
- Est-ce que je peux t'embrasser ?
Je relève la tête et appuie sur sa nuque en guise de réponse et si une étreinte c'était déjà trop... L'embrasser je ne sais pas ce que c'est. Mes terminaisons nerveuses sont sur le point de court-circuiter, quelque chose prend feu dans mon estomac, quant à chaque endroit qu'elle touche... je ne suis même plus sûre que mon corps m'appartienne encore. Ses doigts défont ma queue de cheval, mes cheveux cascadent dans mon dos et Reagan s'empressent d'y perdre sa main, je me noie, je me noie... Et je n'ai pas envie qu'on me sauve.
Entre deux baisers qui me coupent la respiration, je souffle mes interrogations.
- TOMB-R, R pour Reagan mais TOMB ?
Un nouveau baiser, une nouvelle merveilleuse noyade.
- Tomboy. Ça veut dire garçon manqué...
- Toi et tes mystères...
Une main sur la nuque qui attire, mes mains dans son dos, son odeur qui me rend folle.
- Tu as cru que j'étais Cisco.
- Oui, j'ai cru. J'ai eut peur que tu sois lui.
- Peur ?
- A cause de Cila.
Un soupir emporte tout le stress, les questions, les incertitudes, je me serre contre Reagan, le corps à peine opérationnel, front contre son épaule. Elle me serre fort contre elle, comme si elle n'en revenait toujours pas. Je la comprends, je n'en reviens toujours pas moi-même.
- Je suis contente que ce soit toi.
Parce que quelqu'un d'autre, quel intérêt ? J'ai la chair de poule, mélange de froid et de trop, Reagan prend sa veste et la passe autour de mes épaules, elle jauge ma réaction avec prudence, comme si le baiser n'avait pas été suffisant pour établir le fait que je suis cramée pour elle, dans tous les sens du terme.
- Tu es venue avec quelqu'un au bal ?
- Non. Je ne suis pas venue pour le bal.
Reagan me scrute avec minutie, ses lèvres s'entrouvrent sur un "moi ?" qui reste silencieux et qu'elle ne dit pas à voix haute. J'acquiesce avec un sourire timide, elle secoue la tête avec incrédulité. Elle glisse son bras dans mon dos et m'embrasse sur la tempe. On s'installe sur une chaise et on discute de tout et de rien, elle me montre son ancien projet que les vandales ont tagué, avec le mot "GOUINE" écrit en lettres capitales avec un spray rouge.
- Tu devrais peut-être penser à le donner comme ça...
- Avec ça dessus ?
- Ouais, c'est de l'art non ? Reflet par l'autoportrait... C'est vrai que c'est con qu'ils aient fait ça à ton tableau mais en faisant ça, leur but c'était que tu ne puisses pas te servir de la toile... Rien que pour ça, tu devrais la présenter.
Le regard de Reagan passe de la toile à moi, la trace de peinture rouge sur son menton me donne envie d'y passer les doigts.
- J'y penserai.
Puis Reagan sort son portable, pianote un moment et mets Robbers de The 1975. Les accords de guitare électriques résonnent, la basse prend le relai avec les percussions mais jamais aussi fort que celles dans ma poitrine.
- On devrait danser, vu que tu n'as pas eut la chance d'aller au bal.
- C'est faux... J'y suis.
Le coin de ses lèvres s'étire vers le haut, elle pose son portable, me prend la main et on se retrouve à danser au milieu de la salle d'art, pas vraiment un slow mais presque. Nos paumes se collent, j'entremêle nos doigts, ses cheveux retombent sur son front et voilent ses yeux, elle a l'air cool.
- Au fait... moi aussi, 128√e980.
Elle se mords les lèvres pour dissimuler un nouveau sourire, me fait tourner sur moi-même et j'éclate de rire. Quand je reviens vers elle, je passe mes bras par dessus ses épaules, les siens se serrent dans mon dos et on s'embrasse.
Fin