Fandom: Original
Prompt: Rien que des mots
Note: Je continue sur ma lancée
Chapitre 13
La main de fer dans le gant de velours avait plusieurs titres.
Pour certain, elle était Madame la Directrice, pour d'autre Madame tout court. Mais pour une minorité de personne, elle était Margareth Warren.
Les filles sous sa responsabilité étaient toute sa vie, elle aimait chacune d'entre elles comme si elles étaient ses enfants.
Dire que la mort d'Eugénie l'avait attristé était un bel euphémisme.
Margareth avait toujours eut une préférence pour cette jeune-fille impétueuse, malicieuse et agréable. S'il arrivait à Eugénie de sortir en cachette le soir pour rejoindre le seul pensionnaire masculin de la maison, elle fermait les yeux et regardait dans l'autre sens.
Au fond d'elle, la Directrice avait espéré qu'elle réussirait à rompre la malédiction qui accablait ce pauvre garçon. Mais la femme, Margareth, avait simplement voulu qu'Eugénie soit heureuse.
Sa mort ajoutée à celle de Thérèse plongea l'école dans une sorte de torpeur, sombre et déprimante. Les élèves ne sortaient plus de leurs chambres en dehors des cours, toutes chuchotaient et parlaient du garçon comme d'une histoire de fantôme, sans savoir que le pauvre bougre vivait dans l'endroit le plus reculé de l'école, englouti par la dépression.
Padraig n'avait pas reparlé de suicide depuis qu'Eugénie était morte, un mois auparavant.
Il s'était enfermé dans sa chambre, ne parlait jamais, ne prenait plus la peine de lire, mangeait à peine... Il n'avait pas pleuré une seule fois. Il avait perdu sa carrure athlétique et sombrait, sombrait, sombrait...
Margareth ne s'embarrassa plus de la trappe à la porte de Padraig et entra dans la pièce, refermant le battant derrière elle. Elle chercha le garçon du regard, il était assis dans un coin, ses doigts étaient enfouis dans les pans d'une robe grise.
— Comment allez-vous aujourd'hui, mon petit ?
Pas de réponse.
— Nous avons du lard cette semaine, j'espère que vous mangerez.
Elle posa le plateau contenant une assiette de nourriture, un verre et un pichet d'eau sur le petit écritoire et attendit un instant, dans l'espoir qu'il lève les yeux sur elle et se mette à lui parler. Il n'en fit rien. Ses cheveux bruns encombraient son visage, jetant des ombres plus prononcées sous ses yeux bleus, comme deux coquards violacés. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ? Margareth soupira:
— Essayez de vous reposer un peu cet après-midi, je reviendrais ce soir.
Elle le laissa seul, retournant à ses occupations. Sa routine de Directrice ne fut brisée que lorsque la maîtresse de maison se précipita dans son boudoir, une missive et un coffret à la main, essoufflée comme si elle avait monté les escaliers quatre à quatre.
— Madame ! Madame ! S'exclama t-elle.
— Et bien, que se passe t-il ? Demanda t-elle calmement.
— Pour... pour vous !
Margareth ouvrit la missive et retint son souffle. Elle lut avec avidité et arracha le coffret des mains de la maîtresse de maison lorsqu'elle eut terminée. Dans sa précipitation, elle manqua de faire tomber l'objet qu'il contenait. Elle sourit:
— Oh, ma chère Marjorie ! Je ne pouvais pas espérer meilleure issue à ce problème épineux, je suis tellement heureuse...
Dans l'écrin en bois, un éclat de miroir grand comme sa paume reflétait son sourire.
Si Margareth était honnête avec elle-même, elle devait avouer qu'elle n'avait pas réellement cru aux dires de la vieille gouvernante avant que Bessie ne décède. Lorsque cela s'était produit, elle était encore une jeune directrice, pas habituée à ce genre de situation. La seule solution qui lui était venue à l'esprit avait été d'isoler la cause de tout ces soucis, de séparer le petit-garçon des autres.
Margareth s'en voulait, elle ne s'était pas impliquée assez fort pour résoudre la malédiction. Elle s'était contentée de déplacer le problème pour ne pas le voir, parce que c'était plus facile. Elle ne s'était jamais mise à la place du garçon, ne s'était jamais demandée si la solitude lui pesait, s'il aimait sa vie...
La promesse qu'elle avait faite à la vieille gouvernante n'était que des mots. Rien que des mots.
Peut-être était-il un peu tard. Trop tard sûrement.
Mais elle comptait bien mettre des actes sur son serment.
oOo
Margareth posa le plateau sur l'écritoire. Elle était de bonne humeur, elle allait enfin pouvoir annoncer une bonne nouvelle à Padraig, il allait remonter la pente, c'était sûr. Elle se tourna vers lui, un sourire aux lèvres, ignorant son air lugubre.
— J'ai d'excellentes nouve...
— Je veux le faire maintenant.
Padraig releva la tête, ses yeux accrochèrent les siens pour la premières fois depuis la mort d'Eugénie. Elle fronça les sourcils, perplexe.
— "Le faire maintenant" ? De quoi parlez vous, mon garçon ?
— Je veux mettre fin à tout ça. Aujourd'hui.
Margareth eut l'impression de plonger dans un lac gelé. Il n'y avait aucune émotion dans sa voix, il aurait pu tout aussi bien parler du temps qu'il faisait. Elle se secoua:
— Enfin, je... je suis vous annoncer que nous avions peut-être trouvé une solution à votre malédiction !
— Non...
— Mais pourquoi !? S'emporta t-elle.
— Parce que c'est trop tard, souffla t-il.
Les yeux bleus s'emplirent de larmes, ses lèvres tremblèrent, seules émotions visibles, brèves lueurs du désespoir qui l'habitait. Le coeur de la directrice se brisa. Elle s'accroupit face à lui et posa une main réconfortante sur son genou.
— Mon petit... rien n'arrive jamais trop tard. Je me suis lancée dans une entreprise fastidieuse mais je ne doute pas de parvenir à mes fins, je me suis mise à la recherche des fragments de miroir que vous avez brisé, peut-être qu'en le réparant nous parviendrons à rompre le sort !
— Non, je... je n'en ai plus rien à faire. C'est trop tard, elle est...
Padraig ferma la bouche, baissa les yeux. Elle le vit prendre une inspiration, déglutir avant de secouer la tête faiblement.
— C'est fini. Je suis fatigué, je veux que ça s'arrête.
Margareth se mordit les lèvres et réarrangea les pans de sa robe pour se donner une contenance, elle ravala la boule de tristesse coincée dans sa gorge.
— Vous savez que le suicide vous conduira en enfer, n'est-ce pas ?
Padraig renifla avec un sourire sans joie:
— L'enfer ? Madame, j'y suis déjà.
— S'il vous plait... Je vous demande de reconsidérer vos options. Vous êtes jeune, vous n'avez que dix-huit ans, votre vie vient tout juste de commencer... Je vous en prie, ne me faites pas faire cette folie.
— Vous changerez d'avis quand d'autre personne se mettront à mourir... et vous regretterez de ne pas avoir abrégé nos souffrances, autant celles de ces personnes que les miennes.
Padraig repoussa ses cheveux en arrière, dévoilant un teint livide et des traits tirés, il soupira:
— Laissez-moi, maintenant.
Son allure générale l'effraya tellement qu'elle ne discuta pas et sortit de la pièce, essoufflée et au bord de l'évanouissement. Les soucis pesèrent sur ses épaules frêles et elle en vînt à maudire le jour où cette vieille gouvernante avait amené ce petit-garçon sur le pas de leur porte.
Les paroles de Padraig s'avérèrent justes, comme une prédiction morbide.
Les amies d'Eugénie moururent les unes après les autres. Catherine fut retrouvée pendue dans sa chambre, Josette attrapa froid et s'éteignit des suites d'une pneumonie fulgurante. Mais ce fut la mort d'Annabeth qui acheva la directrice.
La jeune-fille était en ville avec une de ses tantes pour faire des achats lorsqu'un vendeur la surprit avec un livre de magie à la main. Elle fut accusée de sorcellerie et brûlée vive.
Désespérée, à court d'imagination et dévorée par le chagrin, Margareth accepta de donner à Padraig ce qu'il voulait. Elle procéda elle-même au rituel censé mettre fin à ses jours, la mort dans l'âme.
Mais alors qu'elle lançait le sort sur lui, commençant par l'endormir, une empreinte magique se mêla à la sienne et enveloppa le corps de Padraig. Margareth aurait reconnu cette étincelle entre mille:
— Eugénie, souffla t-elle.
La tête de Padraig bascula sur le coté. La magie s'évapora peu à peu, laissant une marque indélébile sur l'âme du jeune-homme. La directrice se précipita à ses cotés, affolée:
— Qu'avez-vous fait, Eugénie ?
A suivre...