Fandom: Original
Prompt : Qui a trafiqué le temps ?
L'équilibre
Il posa sa tête contre sa main et ferma les yeux à demi. Rien ne soulageait les vertiges qui l'assaillaient. Il soupira et s'accrocha plus fort à sa couverture avec l'espoir qu'en s'y agrippant assez fort, le monde cesserait de tourner et retrouverait un axe normal.
« Tu veux de l'eau ? Demanda Bobby. »
Il ferma plus fort les yeux. Un mal de tête terrible s'installa à l'arrière de sa tête, il aurait voulu répondre non, seulement il n'avait pas la voix pour et il n'était pas assez fou pour secouer la tête, ça empirerait sa migraine. Il serra plus fort l'accoudoir du fauteuil dans lequel il était installé.
« Camille ? Tu veux de l'eau ? Insista Bobby tout doucement. »
Un gobelet froid buta contre ses articulations blanchies et il donna un coup brusque dedans, furieux contre le monde entier. Ouvrir les yeux fit exploser la douleur sous ses paupières et il se sentit tomber en avant, perdant tout sens d'équilibre. Un bras fort passa en travers de son torse et en un instant, il était soulevé et porté loin du fauteuil. Camille détestait cela. Se retrouver piégé dans son propre corps, ne pas savoir se débrouiller, devoir dépendre de quelqu'un. Il détestait cela.
oOo
Il avait une vie, meilleure que celle qu'il avait à présent. Vingt-sept ans, il venait de remporter un tournoi national d'escrime, les journaux sportifs le proclamaient déjà vainqueur international, et pourquoi pas une participation au Jeu Olympique l'année qui suivrait. Il avait tout pour réussir, la famille de Camille était tellement fière qu'elle lui avait payé des tickets pour un parc d'attraction en vogue pour fêter sa victoire. Il n'avait pas réfléchit un instant, avait accepté avec joie, le sourire aux lèvres, son avenir n'était peut-être pas tout tracé mais il était sur une bonne pente et il était pressé de voir ce que son destin lui réservait. Il était confiant. Il était certain que tout irait bien maintenant, que sa bonne étoile veillait sur lui.
Mais ce jour-là, elle l'avait abandonné.
Il s'était amusé avec son équipe, avait rit, s'était éclaté. Il n'avait jamais été aussi heureux de sa vie. Puis il était monté dans le nouveau manège le Turner. C'était la toute dernière trouvaille. Le manège dont tout le monde parlait. Camille y était monté avec ses amis. Le manège portait bien son nom de « Turner ». Il ne s'était jamais sentit tourner aussi vite de toute sa vie, si bien qu'il commença à s'en sentir mal. L'enfer commença.
oOo
« Lâche moi, Bobby, je peux manger tout seul, grogna Camille. »
Bobby leva les yeux au ciel et lui fourra sa fourchette dans la main. Camille avait encore les mains tremblantes et la gravité semblait peser de tout son poids sur lui mais il parvint à prendre plusieurs cuillerées de son assiette sans l'aide de personne. Il dévisagea Bobby avec victoire, souriant un instant, oubliant qu'il était cessé en vouloir à la terre entière. Bobby lui rendit son sourire et Camille se rendit compte de sa stupidité. Pourquoi était-il si stupidement fier ? Parce qu'il était parvenu à se nourrir, comme les autres personnes normales ? On ne devait pas se réjouir de pouvoir manger seul, c'était ridicule. Il perdit son sourire et continua.
oOo
Camille avait sentit sa tête lui tourner, son cerveau se compresser, comme s'il était entrain de bouillir ou d'exploser, au choix. Ses oreilles s'étaient mises à siffler et il s'était senti mal, mal, mal. Le manège ne semblait plus en finir, le temps s'était détraqué, il se demanda qui avait touché aux aiguilles de l'horloge pour faire durer les minutes en heures.
Lorsqu'enfin le Turner avait ralenti et s'était arrêté, Camille avait titubé et avait vomi dans un coin. Ses amis auraient pu se moquer de lui, mais ils étaient dans le même état. Quelque chose n'allait pas, quelque chose clochait. Camille ne put pas se relever là où les autres s'étaient remis debout, se regardant entre eux, faiblard et choqué de l'expérience qu'ils venaient d'avoir. Il tenta, lutta, pour se mettre sur ses pieds seulement il n'y parvint pas. Ses amis restèrent à ses cotés, l'installant par terre. Quand au bout de trois heure, Camille n'en finissait toujours plus de vider son estomac et commença à montrer des signes d'évanouissement, le responsable du manège se décida enfin à appeler une ambulance.
oOo
Bobby le fit se mettre debout et Camille parvint à faire quelques pas seuls avant de perdre l'équilibre, comme un bébé qui marchait pour la première fois. Il s'acharna pendant une heure, ne voulant pas abandonner. Il termina bien vite en nage, n'en pouvant plus, ne tenant plus debout. Bobby passa ses bras autour de sa taille et Camille posa sa tête contre son épaule, se laissant traîner jusqu'à une chaise, cédant aux paroles gentilles de Bobby :
« Allez, Camille. T'as bien travaillé, c'est la première fois que tu marches autant, il faut te reposer maintenant. Tu feras mieux demain. »
Camille hocha la tête, il n'avait plus assez d'énergie pour protester de toute façon.
oOo
Après plusieurs examens, le verdict tomba enfin : déséquilibre sévère de l'oreille interne. Camille comprenait vaguement ce que cela voulait dire, il se disait pourtant que quelques médicaments en viendraient à bout, qu'il pourrait reprendre sa vie comme avant, que c'était une mauvaise passe et qu'il en rirait avec ses amis plus tard :
« Tu te souviens quand on a été dans ce manège de l'enfer ? J'ai fini à l’hôpital, c'était horrible ! »
Les médecins lui annoncèrent quelques choses de beaucoup plus grave. La mine sombre. Le monde de Camille s'effondra sous ses pieds.
oOo
Bobby le fit prendre son bain et Camille l'observa, l'inspectant sous toutes les coutures. Ses cheveux bruns étaient plus longs qu'à l'accoutumé, ses yeux bleus voyageaient sur sa silhouette, préoccupé par ce qu'il faisait. Il portait un tee-shirt large avec une tête de mort rouge et un jean simple, il était pied nu. Camille le trouvait plutôt débraillé par rapport à d'habitude.
« Y a du laissé-allé, dit-il, sarcastique.
- C'est souvent le cas quand on s'occupe de son meilleur ami déprimé, rétorqua Bobby. »
L’œillade malicieuse, un sourire amusé aux lèvres, Bobby donna une pichenette dans l'eau pour l'arroser et Camille fronça le nez.
oOo
Ses parents s'en étaient tout de suite voulu, ils avaient voulus payer tout les frais, s'étaient incrustés chez lui le premier mois, pour l'aider. Robert Robson était venu lui rendre visite de temps en temps, c'était bien le seul. Toute son équipe d'escrime semblait l'avoir oublié en un claquement de doigts et Camille était désormais seul. Avec ses parents et un gars dont les initiales était RR et qu'il connaissait à peine.
Ses parents l'avaient vite étouffé.
« Je vais t'aider. Laisse-moi t'aider. Je vais le faire. Je vais te porter. Je vais te donner à manger. Je vais te coucher. Je vais te mettre la télé. Je vais faire ci, je vais ça. »
C'était autant de rappel de sa condition et Camille finit par leur hurler dessus à s'en briser les cordes vocales, il les avait envoyé au diable, ne s'était pas calmé avant qu'ils ne disparaissent de sa vie aussi rapidement qu'ils avaient emménagés dans son appartement.
Et il s'était de nouveau retrouvé seul. Pendant deux jours. Il s'était débrouillé comme il avait pu, il avait rampé d'un endroit à l'autre, avait vidé des paquets de biscuits et avait craqué. Il avait éclaté en sanglot. Déversé l'équivalent de l'océan arctique sur le sol de son salon. Il aurait pu se pendre, mais même ça il ne pouvait pas le faire. Il ne pouvait même plus décider de sa mort.
Puis Robert était entré. Comme une tornade. Soudain, tout avait retrouvé sa place, comme par miracle. En à peine une heure, son appartement était redevenu comme avant. L'heure suivante, Robert lui avait fait retrouver une apparence humaine, lui avait fait prendre un bain, l'avait aidé à se changer, lui avait fait à manger.
Camille l'avait regardé pensivement :
« Quel genre de gars s'appelle Robert ? Avait-il grogné. »
Ce dernier avait relevé la tête, des flammes dans les yeux.
« Le genre de gars qui t'en mets une si tu l'appelles encore Robert. »
Il l'avait toisé encore une fois, longuement, comme pour s'assurer qu'il avait compris. Camille avait haussé les épaules et le jeune homme avait reprit sa tâche, lui passant des chaussettes aux pieds.
« Je m'appelle Bobby. »
oOo
Camille passa son bras autour de l'épaule de Bobby et grimaça quand son corps endolori toucha enfin le matelas. Il soupira et garda les yeux ouverts un instant, pour être bien sûr de ne plus avoir de vertige ou de maux de crâne. Bobby s'assit à coté de lui et remonta la couverture sur lui. Camille releva la tête vers lui. Ça faisait un ans qu'il était dans cet état. Bobby avait abandonné la compétition pour lui, prétextant qu'il n'était pas si bon que cela de toute façon et qu'il préférait largement lorsque Camille était là pour lui mettre une dérouillée.
« Une réclamation de dernière minute ? Demanda Bobby. »
Il secoua prudemment la tête et sourit lorsque le mouvement ne lui arracha aucune sensation de vertige. Bobby lui rendit sourire, semblant suivre le fil de ses pensées sans aucun problème. Le cœur de Camille eut un accro et il baissa légèrement les yeux. Une main écarta une mèche de ses cheveux de son visage et s'arrêta sur sa joue.
« Hey... Qu'est-ce qui se passe ? »
- Est-ce que t'as l'intention de t'occuper de moi tout le temps ? Et si je ne guéris pas ? Demanda t-il. »
Camille releva la tête. Bobby fronçait les sourcils en le dévisageant avec attention. Camille frotta sa joue contre sa paume, comme pour le faire réagir. Bobby reprit sa caresse, repoussant ses cheveux en arrière avec affection. Camille frissonna sans pouvoir s'en empêcher.
« Pourquoi tu me poses cette question ? Demanda Bobby d'une voix douce. »
Camille haussa les épaules. Il avait vingt-huit ans, il était pratiquement handicapé, il avait gâché sa vie en montant dans un manège stupide et sa carrière d'escrimeur avait sombré dans l'oubli. Ses amis l'avaient lâchés dans un regard de pitié, ses parents ne l'appelaient qu'une fois tout les deux mois... Et il était tombé amoureux du gars dont les initiales étaient RR.
« Parce que je t'aime, répondit-il. »
Même s'il était irascible, qu'il se montrait odieux lorsque ça allait mal, qu'il n'était pas toujours agréable et que la plupart du temps, il était le grinch. Bobby sourit et leva les yeux au ciel. Camille crut qu'il se moquait de lui. Bobby se fit une place à coté de lui et sa main glissa dans ses cheveux, ses yeux riaient.
« Tant mieux alors... Je n'ai pas l'intention de partir. »
Bobby se pencha sur lui et posa ses lèvres sur les siennes avec tendresse. Camille ferma les yeux et eut peur un instant de se sentir mal, que le vertige ne le prenne et ne détruise ce moment-là aussi. Il n'en fut rien. Les lèvres de Bobby avaient un léger goût de fraise, sûrement un de ses bonbons sucrés qu'il ne cessait de croquer à longueur de temps. En cet instant où tout devenait merveilleux et où il en oubliait presque sa condition, Camille pensa timidement, avec espoir, que sa bonne étoile l'avait peut-être retrouvé et lui avait envoyé Bobby.
Fin
Accueil 
Sujet: Original - pas de spoil - L'équilibre 
Jeu 24 Juil - 22:36
)