Kirua avait l’impression que ses orteils allaient geler. Ses pieds aussi. On allait devoir les lui couper parce qu’il ne les sentait plus. L’eau était absolument glaciale et Kirua se demandait ce qu’il foutait. Il tourna ses yeux de trois quart vers la droite et vit Gon patauger dans la rivière tout sourire en le regardant comme s’il allait faire apparaître un énorme gâteau au chocolat. Kirua se concentra malgré ses pieds glaçons, il leva son couteau en l’air et le jeta droit vers un poisson qui passait, à une vitesse phénoménale, ne laissant pas le temps à l’animal de s’enfuir et le plantant d’un seul coup. Gon s’extasia et l’applaudit et Kirua oublia un instant le froid pour lui faire un sourire fier de lui.
- À moi maintenant ! Je vais essayer d’en attraper un aussi.
Gon semblait ne pas ressentir à quel point l’eau était glacial. Il devait avoir la peau dure. Kirua se disait que puisque ça faisait sans doute douze ans qu’il était ici, il ne devait plus vraiment ressentir le froid, il avait trop l’habitude. Gon plongea soudainement les mains dans l’eau et quand il les releva en l’air, il tenait un poisson tout gigotant entre ses doigts. Il lança un sourire pleins de dents à Kirua et celui-ci se trouva plutôt impressionné. Gon apprenait vite, il était doué et il était fort. Et il était enfermé dans une montagne.
- On va faire un feu pour les cuire, dit Gon, et on va les manger ensemble.
Kirua acquiesça, puis il se dépêcha de sortir de la rivière et de se sécher les pieds pour les réchauffer.
Cela faisait plusieurs jours qu’il était là. Contrairement à Gon, il pouvait partir quand il le voulait, la différence notoire c’était que pour le moment, il n’en avait pas du tout envie. Sa mission était passée à la trappe, son nouvel objectif était de s’amuser le plus possible et le plus longtemps qu’il le pourrait, avec Gon. Ensuite, il retournerait au monde réel, ferait ce qu’il doit faire, rentrerait chez lui et reprendrait sa vie, comme avant. Peut-être.
Gon avait rassemblé du bois, puis il avait allumé le feu avec le briquet de Kirua. Enfin, il n’appelait pas ça un briquet lui, mais « la petite boite magique d’où sort le feu ». Ce que Kirua trouvait vraiment très amusant, du coup il le laissa faire. Ils cuisirent le poisson et le mangèrent. Kirua lui trouva un goût particulier, meilleur que les poissons qu’il avait pu grignoter jusqu’ici. Était-ce parce qu’il en mangeait avec Gon ou parce que ça avait été amusant de les capturer ? Il n’en savait rien.
La bouche pleine, Gon dit à voix haute ce que Kirua pensait tout bas, que le repas était vraiment bon. Kirua hocha la tête et croqua un nouveau morceau, recrachant les arrêtes ensuite. Ensuite ils s’allongèrent sur le sol et regardèrent au-dessus d’eux. On ne voyait pas le ciel, seulement une crevasse de glace qui s’étendait vers le haut et bouchait la vue. C’était sans doute ce qui empêchait qu’il neige ou pleuve chez Gon.
- Les étoiles sont un peu comme toutes ces bougies non ?
- Tu as déjà vu les étoiles ? Demanda Kirua. Je croyais que t’avais pas le droit de sortir.
- Hm… Ben disons que je suis sortie quand même, une fois.
Kirua se souvint que Gon lui en avait déjà parlé.
- Et tu ne le feras plus c’est ça ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Disons que ça ne s’est pas super bien passé la première et seule fois où je suis sortie.
- Il s’est passé quoi ? Interrogea Kirua curieux.
- Kaito a été vraiment furieux, il m’a fait la morale pendant au moins trois heures. « Tu te rends compte de tous les risques que tu as pris Gon ? ». Du coup, j’en garde pas un bon souvenir.
- Okay, mais sinon, dehors, t’a trouvé ça comment ?
- Ben c’était sympa. Le ciel était vachement haut, je l’imaginais pas si haut, et il y avait toutes ces lumières dedans, c’est Kaito qui m’a dit que c’était des étoiles. Je pensais que dehors c’était aussi petit qu’ici, ou que tout le monde vivait dans des petits endroits comme celui-ci, mais les gens vivent dans des maisons.
- Tu es allé jusqu’au village ?
- Oui, acquiesça Gon.
- Quand est-ce que tu es sorti ?
- Il y a un an à peu près…
Kirua fronça les sourcils, mais il n’eut pas le temps de penser plus longtemps car ils entendirent tous les deux la voix de Kaito appelant Gon.
- Mince, il est rentré plus tôt que d’habitude. Va te cacher !
Kirua s’exécuta et se retrouva coincé dans le tout petit placard. Gon éteignit le feu puis couru jusque dans sa chambre et réussit à ne pas paraître suspect devant Kaito en s’allongeant sur ce qui lui servait de lit et en faisant semblant de lire un des grimoires sur les malédictions.
- Salut Kaito, tu es rentré plus tôt que d’habitude.
- Hm. J’ai entendu des rumeurs qui ne m’ont pas plu au village, alors j’ai préféré venir voir que tout se passait bien.
- Tout se passe super bien, sourit Gon.
- Personne n’a tenté de venir ici n’est-ce pas ?
Le sourire de Gon devint un peu faux et sa voix vacilla :
- Euh ben non, personne. Pourquoi, c’est quoi les rumeurs ?
- Rien.
- C’est à propos du monstre ?
Kirua songea à se frapper le front avec la main. Gon venait de faire une grosse bourde. Kaito fixa longuement Gon, il avait plutôt l’air blasé et énervé. Gon tenta une grimace qui ressemblait à un sourire alors que son tuteur demandait :
- Comment est-ce que tu es au courant de ça ?
- Euhhhhh…
- Est-ce que tu es sorti ?
- Non.
- Est-ce que tu as rencontré quelqu’un ?
- Mais noooon ! Je disais juste ça comme ça.
La voix de Gon vacillait, il était évident qu’il ne disait pas la vérité. Kirua pensa que dans quelques secondes, Kaito allait le trouver et il devrait peut-être se battre avec lui. Kaito se dirigea vers Gon et s’assit près de lui.
- Je ne sais pas comment tu as entendu ça Gon, mais je ne veux pas que tu sortes. Et tu sais pourquoi.
- Oui je le sais, ne t’inquiète pas, je ne sortirai pas.
- Et si quelqu’un trouve cet endroit, tu dois t’en débarrasser, d’accord ?
Gon ferma sa bouche et se contenta de hocher très vite la tête.
- Ah oui, et surtout, il n’y a pas de monstre.
- Il n’y en a pas ?
- Non. Il n’existe pas. Il n’y a jamais eu de monstre.
Kirua entendait bien le discours de Kaito, mais quelque chose clochait, il insistait un peu trop peut-être. Était-il en train de mentir à Gon lui aussi ?
- Moi qui voulait te demander si tu l’avais déjà rencontré ?
- Je ne peux pas rencontrer un monstre qui n’existe pas.
- Et tu ne sais pas à quoi il ressemble ? Il paraît qu’il est super grand et super méchant !
- J’aimerais bien savoir d’où tu sors ces informations.
- Euh… J’ai fait un cauchemar, avec un monstre dedans, et depuis… Je sais pas. Je me demande c’est tout.
C’était absolument crédible et Kirua était prêt à parier que Kaito ne croyait pas Gon, pourtant il choisit de ne rien dire.
- Ce n’était qu’un cauchemar. Il n’y aucun monstre. C’est tout.
- D’accord. J’ai compris.
- Je t’ai ramené quelques provisions, reprit Kaito changeant de sujet.
Kirua retint un soupir et attendit de pouvoir être libéré de ce placard.
Gon ouvrit la porte après s’être assuré que Kaito dormait à point fermé.
- Tu vois, il n’y a aucun monstre, souffla-t-il.
- Sauf si Kaito a menti.
Gon secoua la tête :
- Non, je ne pense pas qu’il me mentirait.
Kirua n’eut pas l’air convaincu et Gon ajouta :
- Bon, il ne me mentirait pas, mais il ne dit peut-être pas toute la vérité. Mais au moins, tu sais qu’il n’y a pas de monstre, tu es tranquille maintenant.
- Gon… S’il n’y a pas de monstre, je n’ai plus qu’à m’en aller.
- Quoi ?
- Et rentrer chez moi.
- Mais… Enfin. Non. Tu peux pas rester encore un peu ?
- De toute façon je n’allais pas rester éternellement ;
- Pas éternellement, juste un peu. Juste encore un tout petit peu. S’il te plaît.
Comment résister à l’air de chiot battu de Gon ? Kirua hocha la tête :
- Okay, je vais rester.
- Enfin pas ce soir, tu dois d’abord partir d’ici tant que Kaito dort, tu reviendras après.
- D’accord, j’ai compris.
Gon le suivit dans le labyrinthe et quand Kirua passa la fissure il l’appela :
- Tu reviendras hein ?
- Oui ! Je reviendrai.
Gon eut l’air content et soulagé.
Au village, Kirua s’arrêta dans une auberge, la tête pleine de réflexions. Il voulait bien croire qu’il n’y avait pas de monstres, mais pourquoi des villageois économiseraient beaucoup d’argent pour faire chasser quelque chose qui n’existe pas même ? Ils avaient forcément vu quelque chose qui les avait effrayés, c’était bien pour cette raison qu’ils le payaient non ?
Kirua avait l’impression d’avoir à faire à un puzzle, mais que la dernière pièce ne rentrait pas. D’abord, il allait dormir, peut-être que la solution apparaîtrait à son réveil.
Gon se réveilla super tôt le matin, mais Kaito était déjà levé.
- Tu repars déjà ?
- Je ne vais pas loin, je vais juste faire un tour de la montagne.
- Pour quoi faire ? Je croyais que la solution à la malédiction ne se trouvait pas ici.
- Non, mais je m’inquiète à propos d’autre chose.
- À propos de quoi ?
Kaito ne répondit pas et Gon marmonna :
- Il y a bien un monstre, c’est ça ?
- Les monstres ne sont pas toujours ce que l’on croit, Gon. Les humains peuvent être de véritables monstres parfois.
- Je ne comprends pas, fit Gon.
- Je t’expliquerai quand il n’y aura plus de danger. En attendant, ne laisse personne entrer ici, je suis bien clair ?
- Très clair, répondit Gon, de toute façon qui pourrait rentrer ici ?
Enfin, à part Kirua. Mais lui ce n’était pas pareil, il était un invité pour Gon. Pas un intrus. C’était son ami. Et puis Gon n’était pas en danger avec Kirua, il lui faisait confiance.
Kirua avait acheté deux paquets de chocorobots dans un magasin au village. Un pour lui, et un pour Gon. Il était à peu près sûr que son ami n’en avait jamais mangé de sa vie, et il se demandait la tête qu’il ferait. Sans réfléchir, il commença à se rendre à l’endroit où se trouvait la fissure. Mais il se fit attaquer bien avant de l’atteindre. Kaito le menaça avec une arme à feu qu’il pointa sur lui et Kirua leva les mains en l’air. Il regarda autour de lui afin de voir comment il pourrait se sortir de ce mauvais pas si jamais je le tuteur de Gon décidait de tirer.
- Qui es-tu ? Demanda Kaito.
Kirua resta silencieux et Kaito reposa sa question.
- Ce serait plus facile pour moi de répondre si vous ne me pointiez pas avec cette arme à feu.
- Répond juste à la question et je verrai si je te laisse en vie ou non.
- Je suis Kirua, soupira-t-il.
- Et qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je me suis perdu en voulant visiter un peu, et maintenant je cherche mon chemin pour retourner au village. Je ne savais pas que je me ferais agresser. C’est de l’argent que vous voulez ? Je n’ai pas grand-chose sur moi.
Contrairement à Gon, Kirua excellait dans l’art du mensonge.
- Je ne veux pas de ton argent, fit Kaito, je veux savoir pourquoi tu fouines dans le coin.
- Je me suis perdu, je l’ai dit.
- Tu ne devrais pas trainer par ici de toute façon, il y a un monstre dans cette montagne, les villageois ne t’ont pas mis au courant ?
- Ils ont parlé d’un monstre mais je pensais que c’était une rumeur stupide.
- Ce n’est pas une rumeur, il y a vraiment un monstre et crois-moi qu’il ne risque pas de t’avertir avant de te dévorer les entrailles.
Kirua prit l’air effrayé, alors qu’il réfléchissait à toute vitesse. Kaito avait dit à Gon qu’il n’y avait pas de monstre. Maintenant en face de Kirua, il tenait le discours inverse. Pourquoi ?
Kaito avait deux discours différents. Kirua se disait qu’il devait vouloir protéger Gon en parlant du monstre. En effrayant les gens, il devait penser que personne ne trouverait Gon. Mais ça n’expliquait pas tout. Encore une fois quelque chose sonnait faux. L’instinct de Kirua le titillait et il n’allait pas abandonner avant d’avoir les réponses qu’il cherchait.
Kaito lui indiqua le chemin pour retourner au village et Kirua y retourna, bien décidé à mieux questionner ses employeurs.
Toute la journée il posa des questions et les réponses étaient souvent les même. Un monstre avait attaqué le village. Il y avait à peu près un an. Il s’en était pris aux enfants. À force de demander, il réussit à avoir le nom d’une fillette qu’il avait apparemment traumatisé. Kirua alla chez elle pour l’interroger. L’enfant avait environ neuf ans et ses parents prévinrent Kirua qu’elle n’avait plus toute sa tête depuis cet incident, qu’elle disait n’importe quoi. Mais Kirua voulait quand même lui parler.
Nokô, c’était comme ça que s’appelait l’enfant, était petite, avec des longs cheveux oranges tressée et jouait avec un dinosaure en plastique. Kirua s’assit près d’elle, et lui demanda s’il pouvait jouer avec elle. Elle accepta. Il se présenta ensuite, et petit à petit au cours du jeu, il commença à poser ses questions :
- Il paraît que tu as vu un monstre.
- C’était pas un monstre, maugréa-t-elle.
Kirua resta silencieux et attendit qu’elle raconte la suite.
- C’était juste quelqu’un de très très grand et de très très fort, et il avait des cheveux très très long. Il était habillé en vert mais ses habits paraissaient trop petit pour lui.
Kirua tiqua.
- Il était aussi très gentil. Quand il est venu dans le village, j’étais en danger, des brigands avaient attaqué mes parents, et retourné toute la maison, et ils voulaient aussi s’en prendre à moi.
Kirua hocha la tête pour montrer qu’il écoutait et la petite continua :
- Et il est arrivé, il a soulevé les brigands du sol et a frappé leurs têtes l’une contre l’autre avant de les attacher avec une corde.
- Il n’avait pas l’air d’être un monstre, souffla Kirua.
- Ce n’était pas un monstre ! Il m’a ensuite soulevé du sol où j’étais tombé pour me remettre sur pied et il m’a demandé si j’allais bien, et là mes parents l’ont vu et se sont mis à hurler et à lui jeter des cailloux, et tout le village a fait pareil. Et il ne s’en serait pas sorti si un autre homme aux long cheveux blancs n’étaient pas venus le sortir de là.
Kirua fronça les sourcils.
- C’était mon sauveur. Je ne l’oublierai jamais. Il avait le regard le plus gentil que j’ai jamais vu de toute ma vie. Ses yeux étaient marrons, mais aussi un peu doré, et il a souri au moins jusqu’à ce que tout le monde s’en prenne à lui alors qu’il n’avait rien fait de mal.
- Ses yeux étaient... Dorés ?
- Oui.
- Et il était habillé en vert ?
- Oui.
Kirua eut l’impression que la tête lui tournait grandement. Il remercia Nokô pour ses informations et sortit de la maison.
Des yeux marrons doré, une tenue verte. Le reste ne correspondait pas, mais…
Mais Kirua avait trouvé son monstre.
Il tourna en rond dans le village pendant plusieurs jours, sans savoir quoi faire. Enfin si, il le savait. Kirua devait simplement remplir sa mission, inutile de tergiverser. Mais sa mission c’était Gon, et Nokô lui avait dit qu’il n’était même pas méchant. D’ailleurs était-ce bien Gon ? Elle l’avait décrit comme étant très très grand, et avec des cheveux longs. Ça ne correspondait pas.
Mais Kirua se mentait. Il savait au plus profond de lui qu’il s’agissait de Gon. Qui était sorti il y avait environ un an de sa grotte, qui était habillé de vert, qui avec des yeux marrons dorés. Voilà pourquoi Kaito lui disait qu’il n’y avait pas de monstre, parce qu’il n’y en avait pas, parce que Gon était LE monstre. Et voilà pourquoi Kaito nourrissait la rumeur du monstre, parce que ça évitait que qui que ce soit ne trouve Gon et lui fasse du mal.
Il avait aussi dû entendre parler de l’assassin, et il avait peur qu’on s’en prenne à Gon. Il voulait effrayer ceux qui se rapprochait trop près de lui.
Le mystère était levé (même si tout n’était pas expliqué), mais Kirua se sentait plus désarmé qu’il ne l’avait jamais été.
Puis au bout de quelques jours, il prit sa décision. Kirua était là pour remplir une mission, et il allait le faire. Il empocherait l’argent, et il rentrerait chez lui. On lui avait appris à ne pas éprouver de sentiments, à ne pas hésiter. Rien n’avait changé, il ne pouvait pas se permettre de tergiverser. Il devait agir.
Kirua retourna dans la montagne. Cette fois-ci, il prit ses précautions au cas où Kaito soit toujours dans le coin, mais ça n’avait pas l’air d’être le cas. Le garçon atteint la fissure sans encombre et aperçu Gon de l’autre côté. Ses yeux d’une couleur particulière qui regardait le lointain avec envie et qui s’illuminèrent quand ils le virent arriver.
- Kirua, tu es revenu !
- Yo !
À suivre.